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Terminale L - Roméo et Juliette - pistes de lecture

15 / 10 / 2008 | le GREID Lettres

Bibliographie

Traductions de Roméo et Juliette

Bonnefoy , Yves, Folio classique, 1985.

Bourgy, Victor, Œuvres complètes, Bouqins, 1995.

*Déprats, Jean-Michel , Shakespeare : Tragédies, Bibliothèque de la Pléiade, vol. 1, 2002.

Jouve, Jean-Pierre et Georges Pitoëff, Gallimard, 1937.

 Laroque, François, Théâtre de poche, Gallimard, 2005.
*Villquin, Jean-Pierre, Presses universitaires de Nantes, 1992.

Il serait judicieux de choisir une édition bilingue*. Les élèves pourraient ainsi travailler des passages du texte d’origine avec leur enseignant d’anglais.

Sources

Conteurs italiens de la Renaissance, Bibliothèque de la Pléiade, 1993.

Une des sources principales de Roméo et Juliette est une nouvelle italienne de Matteo Bandello intitulée Les Amants de Vérone, écrite en 1554. Shakespeare connaissait sûrement une version anglaise de cette histoire qui se trouvait dans une anthologie de textes réunis par William Painter, The Palace of Pleasure, publiée en 1567.

La source la plus directe de Roméo et Juliette est un long poème du puritain Arthur Brooke : The Tragicall Historye of Romeus and Juliet publié en 1562. Shakespeare suit assez fidèlement la trame de l’histoire racontée par Brooke. Il modifie néanmoins le cadre temporel. Dans le poème de Brooke, l’intrigue s’étend sur neuf mois, tandis que dans la pièce, l’action ne dure que quatre jours. Brooke adopte un ton moralisateur. Il fustige les amants qui font fi de leur devoir envers leurs parents et leurs amis et se laissent emporter par le « désir malhonnête » (unhonest desire). Le frère franciscain est un prêtre superstitieux et la nourrice une ivrogne. Les châtiments pleuvent à la fin de poème. Shakespeare n’adopte pas cette approche moralisatrice, on pourrait même dire qu’il la renverse.

Supports filmiques

Il y a eu environ vingt-cinq adaptations filmiques de Roméo et Juliette depuis le début du vingtième siècle.

Quelques exemples :
George Cukor, 1936.

Franco Zeffirelli, 1968.

Une très belle reconstruction de la ville Vérone à l’époque médiévale. De très jeunes comédiens dans les rôles principaux. Le metteur en scène réussit à créer l’impression de l’urgence et de l’impétuosité de la jeunesse. Laurence Olivier, en voix-off, prononce le prologue et l’épilogue.

Alvin Rakoff, BBC, 1975.

Il s’agit du théâtre filmé. Il est néanmoins intéressant de montrer cette version à titre de comparaison.

Baz Luhrmann, 1996.

Un début époustouflant, le film s’essouffle par la suite. (Son ton provocant est généralement apprécié des élèves).

John Madden, Shakespeare in Love, 1999.

La pièce est montrée en accéléré à la fin du film. Reconstruction d’un théâtre public (La Courtine, où la pièce a commencé sa carrière théâtrale) à l’époque élisabéthaine.

Robert Wise, West Side Story, 1960.

 

Date

La pièce a vraisemblablement été écrite vers 1594 ou 1595 et publiée pour la première fois in-quarto en 1597. Pendant les années 1590, Shakespeare écrivait son cycle de sonnets. La forme et l’esprit du sonnet sont essentiels pour la compréhension de la pièce. Trois sonnets figurent dans Roméo et Juliette : le prologue à l’acte un et à l’acte 2, et le premier échange de Roméo et Juliette à l’acte 1, scène 5.

Avant Roméo et Juliette, Shakespeare avaient écrit essentiellement des pièces historiques et des comédies. Une seule tragédie précède Roméo et Juliette : Titus Andronicus, une tragédie romaine fortement inspirée de l’œuvre de Sénèque. A cette même période, 1594-1595, Shakespeare écrivait Un Songe d’une nuit d’été. La pièce dans la pièce à la fin d’Un Songe d’une nuit d’été  : La très lamentable comédie et la très cruelle mort de Pyrame et Thisbé (d’après Ovide), jouée par les artisans d’Athènes pour fêter les noces du duc Thésée reprend, sous le mode de la farce, l’intrigue de Roméo et Juliette : un amour contrarié par la haine des parents.

 

Genre

L’on pourrait qualifier Roméo et Juliette de tragédie d’un type expérimental. La pièce clôt sur la mort des deux amants, mais une grande partie de l’action semble appartenir au mode comique. On peut parler d’une fusion des deux genres. Madeleine Doran, parle ainsi de Roméo et Juliette : « Nous sommes dans un domaine où la tragédie et la comédie sont taillées dans le même tissu ».

Roméo et Juliette ont-ils l’étoffe de héros tragiques ? En ont-ils l’envergure ? A.C. Bradley, dans son étude influente des tragédies shakespeariennes publiée en 1904 n’inclut pas Roméo et Juliette. Pour Derek Traversi la pièce manque de profondeur et ne peut ainsi figurer parmi les grandes tragédies de Shakespeare.

Une comédie shakespearienne traite de l’amour et se termine toujours par un mariage ou par la promesse d’un mariage. Mais on sait, car c’est Shakespeare lui-même qui nous le dit dans Un Songe d’une nuit d’été, que « l’amour vrai n’a jamais suivi un cours facile ». Il y a toujours des obstacles. Ceux-ci doivent être surmontés ou contournés avant que la fin heureuse ne puisse avoir lieu. Cette définition correspond à la première partie de la pièce. L’amour des protagonistes est contrarié par la haine des parents, mais ils réussissent néanmoins à s’unir à la fin de l’acte 2. C’est la fin d’une comédie, mais ce n’est pas la fin de la pièce.

Certains personnages pourraient être qualifiés de personnages comiques. La nourrice avec son humour paillard est bien dans la veine comique. Et Mercutio, le bouffon qui commente l’action de façon cynique, mais lucide est également un personnage de comédie. C’est ce qui arrive à Mercutio qui précipitera la comédie vers la tragédie. Le moment de la mort de ce personnage comique à l’acte 3 scène 1, représente la fin symbolique de la comédie. La fin tragique devient alors inévitable.

Selon Northrop Frye, la comédie tend vers l’union – c’est bien ce que nous constatons pendant les deux premiers actes de la pièce. La tragédie tend vers l’isolement, et c’est ce que nous pouvons observer pendant la deuxième moitié de Roméo et Juliette. Les amants sont progressivement abandonnés de tous : de leurs amis, de leurs conseillers et de leurs confidents. Chacun meurt seul.

 

Structure

L’étude du genre permet de faire apparaître la structure de la pièce : une partie comique, un tournant majeur (3.1), et une deuxième partie tragique. L’événement central, la mort de Mercutio, survient à cause de la querelle entre les Montaigu aux Capulet. C’est cette querelle qui impose un cadre à l’action. Par deux fois (1.1. et 3.1.) les personnages de la pièce sont réunis sur scène pour assister à, ou pour participer à la rixe qui oppose les deux familles. A la fin de la pièce, les personnages sont de nouveau rassemblés sur scène, mais cette fois-ci, ils sont les témoins de la réconciliation des deux familles, et non de leur division.

A l’intérieur de ce cadre, un schéma très clair émerge : prémonition (discours prémonitoires, rêves…) et accomplissement. Le Prologue de la pièce annonce dès le début de la pièce que le destin va s’acharner contre les deux amants, ils sont « star-crossed », nés sous une mauvaise étoile. La fin de la pièce montrera qu’il disait vrai.

 Avant d’entrer dans la maison de son ennemi, Roméo se sent mal à l’aise :

 « ….mon esprit pressent

Qu’un avenir encore suspendu dans les étoiles

Commence amèrement son cours funeste

Avec les réjouissances de ce soir, et marquera le terme

D’une vie méprisée, enclose dans ma poitrine,

Par l’affreuse échéance d’une mort prématurée » (1. 4, 104-109).*

 

A l’acte 2 scène 2, Juliette n’éprouve aucune joie en entendant les serments d’amour de Roméo. Elle pressent le pire :

« Je n’ai aucune joie de ce serment ce soir ;

 Il est trop impétueux, trop irréfléchi, trop soudain,

Trop semblable à l’éclair qui cesse d’être

Avant qu’on puisse dire « un éclair » ! (v.158-161)

 

Les protagonistes, ainsi que d’autres personnages semblent voir clair dans l’avenir.

 

On peut encore remarquer que dans la deuxième partie de la pièce il y a des scènes qui font écho à certaines scènes de la première partie :

-  Deux scènes du balcon (2.1 et 3.5). La première est une scène d’union, la deuxième est une scène de séparation.

- Deux cérémonies : le bal des Capulet (1.5.) et les obsèques de Juliette (5.3.). Le lieu de chaque cérémonie est lumineux. Le tombeau est « inondé de lumière » comme la salle de bal.

- Les préparatifs pour le mariage (4.2.) font écho à ceux du bal (1.5.).

- La potion préparée par le Frère Laurent et qu’il donne à Juliette (4.1.) rappelle les plantes médicinales cueillies à l’acte 2, scène 2.

 

L’onomastique

Juliette essaie de se convaincre à l’acte 2, scène 1 que les noms n’ont aucune importance, « Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce qu’on appelle une rose//Sous un tout autre nom sentirait aussi bon. » Pourtant les noms sont de prime importance dans cette pièce. Ils montrent l’appartenance à un clan. Capulet et Montaigu ne peuvent s’aimer. Mais Roméo et Juliette le peuvent. Le nom de famille assimile à une faction, le prénom individualise.

Capulet du latin caput = tête

Montaigu de mons = montagne ; acutus = aigu, pointu

Les deux noms laissent entendre une aspiration vers le haut. On ne sait pourquoi les deux familles se haïssent. La raison de la vendetta n’est jamais explicitée dans la pièce. Peut-être cette raison est à chercher dans cette aspiration vers le haut, l’ambition, qui crée une rivalité entre elles.

Le prénom Roméo vient de Bandello et de Brooke. John Florio dans son dictionnaire de 1598, affirme que le nom signifie « pèlerin » (to roam = errer). Ceci est significatif car lors de la première rencontre des amants, les mots qu’ils échangent portent sur un pèlerin et son adoration d’une sainte. A la fin du bal, Juliette est obligée de demander à sa nourrice le nom du jeune homme avec lequel elle s’est entretenue, mais le fait qu’elle l’avait qualifié de pèlerin montre qu’elle l’avait déjà reconnu.

Le prénom Juliette convient bien à une jeune fille qui est née au mois de juillet. Elle est enfant du soleil, de la lumière. Elle est née, c’est la nourrice qui nous l’indique précisément à l’acte 1 scène 3, la veille de la Saint-Pierre-aux-Liens, c’est-à-dire le 31 juillet. C’est la fête des moissons. En anglais Lammas tide. « Lammas » est la contraction en vieil anglais de loaf (miche de pain) et mass (la messe au cours de laquelle la miche est symboliquement consacrée). Cette fête était célébrée neuf mois après « Hallow’een » , la veille de la Toussaint, la fête des morts. François Laroque a signalé la coïncidence avec la date de la conception de Juliette.

La nourrice de Juliette l’appelle « Jule », abréviation de Juliette. Dans ce « Jule », on entend « jewel », joyau en anglais. Lorsque Roméo aperçoit Juliette pour la première fois, il s’exclame, 

 « Oh ! elle apprend aux flambeaux à resplendir !

On la dirait suspendue à la joue de la nuit

Comme un riche joyau à l’oreille d’une Ethiopienne,

Beauté trop riche pour la jouissance, trop précieuse pour cette terre. » (I.4.154-157).

 

Roméo avait, semble-t-il, reconnu Juliette avant de connaître son nom.

 
 

A côté des noms italiens (Benvolio, Mercutio etc.) il y a des noms bien anglais : Simon Catlin, James Sound-Post, Hugh Rebeck dont le nom indique leur fonction de musicien (Catlin : boyau de chat ; Sound-Post : larchet ; Rebeck : rebec – instrument de musique médiéval)

 
 

Oxymore

L’oxymore est la figure de rhétorique la plus importante dans la pièce. Les deux protagonistes sont en effet des « amants ennemis ».

A l’acte 1, scène 1, Roméo, l’amant pétrarquisant, se laisse aller à un flot d’oxymores (v.168-176). Il parle d’ « amour querelleur » et d’ « amoureuse haine » qui souligne le paradoxe central de la pièce. La « brillante fumée » (174) fait ressortir le contraste omniprésent dans la pièce entre lumière et obscurité. Et le « feu froid » (174) fait allusion à la passion brûlante qui dévore les amants mais qui va les amener inexorablement vers la froideur de la mort.

Le Frère Laurent, lorsqu’il cueille des plantes médicinales, souligne le paradoxe de la terre (2. 2. 1-30). Elle est le ventre de la nature et en même temps sa tombe. Elle donne naissance à toute forme de vie, mais cette vie retourne à la terre au moment de la mort. (Dans West Side Story, la devise des Jets, le gang newyorkais est “womb to tomb” – les membres du gang se vouent fidélité « du ventre de la mère jusqu’à la tombe »).

Une même plante peut avoir le pouvoir de guérir, ou de tuer. Plus tard dans la pièce on verra que la potion que le frère donne à Juliet, distillée à partir de plantes, est censée l’aider à échapper à un mariage forcé, à une situation devenue inextricable. Cependant, le poison que l’apothicaire vend à Roméo, probablement fabriqué à partir de ces mêmes plantes, le tue. De surcroit, l’attitude de Roméo à l’égard de ce poison est paradoxale. Ce breuvage est mortifère, mais Roméo y voit un « cordial » qui va lui apporter la vie éternelle avec Juliette :

« Toi, cordial et non poison, tu vas m’accompagner

Au tombeau de Juliette, où je dois t’employer ». 5.2.85-86.

 

On peut trouver ce même paradoxe à l’intérieur de l’homme. La vertu peut y coexister avec le vice : 

« Ainsi deux rois ennemis campent toujours

Dans l’homme comme dans les plantes, la grâce et l’instinct rebelle » 2.2.28-29.

 
 

Eros et Thanatos

L’amour et la mort sont liés tout au long de la pièce. Dès le prologue, l’amour de Roméo et Juliette est qualifié de « mortel amour ».

Le lit nuptial est lié à la tombe :

« Va demander son nom. S’il est marié,

Ma tombe sera sûrement mon lit de noces. » (1.4.244)

 

Juliette demande à sa mère de différer son mariage avec Pâris : 

« Différez ce mariage d’un mois, d’une semaine,

Ou sinon, mettez mon lit nuptial

Dans le sombre tombeau où repose Tybalt. » (3. 5. 201) 

 

La mort personnifiée devient l’amant de Juliette. En apprenant la mort de Tybalt, elle s’exclame :

« Mais moi, vierge, je mourrai vierge-veuve.

Allez cordes, allez, Nourrice, moi j’irai à mon lit de noces,

Et que la mort, non Roméo, prenne ma virginité. » (3.2.135). 

 

Roméo s’exprime de la même manière lorsqu’il voit Juliette au fond de la tombe des Capulet :

« Dois-je croire
Que la Mort insubstantielle est amoureuse,
Et que ce monstre abhorré te garde

Ici dans le noir pour que tu sois son amante ? » (5.3.102)

 

Le mariage devient obsèques. Le romarin que le frère Laurent éparpille sur le corps de Juliette (4.5.) lie les deux cérémonies. Cette herbe était utilisée lors des mariages et des funérailles, car elle symbolise la renaissance et l’immortalité. La procession des obsèques amènera Juliette à son 2ème mariage avec Roméo. Le premier avait été clandestin, caché des yeux de la société. Le deuxième sera publique, ouverte. Il aura la reconnaissance de tous qui lui manquait la première fois.

 

*Les citations sont tirées de l’édition de la Pléiade.

 
Wendy Ribeyrol (Université Paris 12 – Val de Marne)
 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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