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Terminale L - Roméo et Juliette - introduction

15 / 10 / 2008 | le GREID Lettres
Supports
Shakespeare Roméo et Juliette Ed. poche (Laroque)
Documents complémentaires

1. Ovide, Pyrame et Thisbé, in Les Métamorphoses, IV

2. Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, Acte I, scène 1

3. Tristan et Iseut , deux extraits

4. Histoire récemment retrouvée de deux nobles Amants, Luigi da Porto, 1530

5. Arthur Brooke The Tragicall Historye of Romeus and Juliet, extrait de l’adresse au lecteur

 
Travail préparatoire :

1.Relisez la réplique de Mercutio (II, 3)

2.Cherchez des précisions, autres que les notes, sur les couples cités

3.Quel couple vous paraît avoir le plus de points communs avec le destin de Roméo et Juliette ?

4.Pourriez-vous trouver un autre couple symbole de l’amour impossible et indissociable et qui pourrait être la source de Roméo et Juliette ?


I. Deux prénoms, un couple d’amants

  1. Les sources du texte.

 

La réplique de Mercutio (II,3) évoque un certain nombre de couples d’amants :

« Vidé de sa laitance, aussi sec qu’un hareng. O chair, chair, comme te voilà poissonnifiée ! Le voilà maintenant qui donne dans les couplets que Pétrarque versait à flotst. Comparée à sa dame, Laure était une souillon (elle avait un meilleur amant pour la chanter en vers), Didon un dindon, Cléopâtre une marâtre, Hélène et Héro des harpies hétéros, Thisbé un petit œil gris ou quelque chose comme ça, mais c’est sans importance ».

 

Mercutio aurait pu ajouter Héloïse et Abélard, symbole de l’amour impossible et indissociable puisque Abélard et Héloïse entretiennent une relation qui conduit Héloïse au couvent où elle met au monde un fils. Ils se marient en secret mais par vengeance l’oncle d’Héloïse, Fulbert, fait castrer (ou émasculer) Abélard. Ce dernier se retire dans un monastère. Les deux amants ne seront réunis que dans le tombeau.

Laure de Noves : chantée et pleurée par le Poète Pétrarque dans son recueil le Canzoniere (1470)

Didon : fondatrice de Carthage et dont Virgile fait au livre IV de l’Enéide une amante délaissée par Enée, elle se jette dans un bûcher.

Cléopâtre, reine d’Egypte, dont le Romain Marc-Antoine s’éprend d’une passion qui les conduit tous deux au suicide (cf. tragédie de Shakespeare, Antoine et Cléopâtre)

Hélène : dont l’enlèvement par Pâris déclenche la guerre de Troie

Héro voit son amant Léandre se noyer dans une tempête, se jette à la mer

Thisbé pour laquelle Pyrame la croyant dévorée par un lion se tue, elle-même le découvrant se poignarde à son tour.

 

La légende de Pyrame et Thisbé est évidemment la plus proche de celle de Roméo et Juliette du point de vue de l’histoire toutefois on ne peut renier les autres histoires. D’ailleurs le texte (la réplique de Mercutio) fonctionne ici comme un indicateur, c’est lui-même qui nous met sur la piste des sources.

 

Lecture en classe du document 1

Motifs repris dans Roméo et Juliette

Différences avec Roméo et Juliette

Amour des jeunes gens interdit par les parents

Opposition des familles
Transgression des interdits
Amour secret
Importance de la nuit
Suicide des amants
Pas de querelle des familles

Mort due à l’intervention d’un animal / quiproquo

Dernière entrevue avant la mort
Urne commune

Nature symbole de l’union du couple.

 

A la même époque que Roméo et Juliette, Shakespeare compose et fait jouer une autre pièce : Le Songe d’une Nuit d’été. Il s’agit d’une pièce où des comédiens répètent une pièce, Pyrame et Thisbé, afin de la jouer le jour du mariage de l’empereur Thésée avec Hippolyta. Entre ces répétitions s’entremêlent des amours contrariées. La pièce semble vouloir réaffirmer la correspondance avec l’histoire de Roméo et Juliette. Le spectateur ne peut alors ignorer les sources de la pièce, Shakespeare semble vouloir les lui préciser avec force. D’autre part, de nombreux points communs apparaissent, les mariages contrariés, le narcotique.

 

Lecture d’un passage du Songe d’une Nuit d’été (doc 2)

 

Quel autre couple de la littérature ?

On introduit alors l’histoire de Tristan et Iseut, symbole de l’amour fou et impossible.

Au XIIème siècle apparaît après la chanson de geste (récit en vers d’actions héroïques, épopées) des textes où la place de l’amour courtois ou « fin’ amor » est prépondérante. Se développe un nouvel imaginaire amoureux : les troubadours évoquent l’amour indéfectible du chevalier pour sa dame, souvent inaccessible. L’amour de Lancelot pour Guenièvre mais aussi celui de Tristan pour Iseut en sont le symbole.

On retrouve le thème du coup de foudre dans le roman même si c’est le philtre qui en est la cause. Ce thème du philtre sera finalement exploité différemment dans Roméo et Juliette mais l’idée du poison, du philtre est souvent évoquée. Le philtre insiste dans le texte médiéval sur l’idée d’un amour fusionnel et indéfectible.

 

Lecture du document 3, 1er extrait de Tristan et Iseut.

 

Toutefois c’est un amour impossible et malheureux car en aimant Iseut, Tristan trahit son oncle et roi, Marc auquel Iseut est promise. C’est aussi une trahison du côté d’Iseut puisqu’elle rompt son serment de fidélité à son époux. Le thème de la trahison est donc important et les autres, par la jalousie, vont provoquer la séparation et même la mort. Seule cette mort permet aux deux amants d’être enfin réunis dans le même tombeau.

 

Lecture du 2e extrait.

 

Si ces deux récits sont des sources lointaines de la pièce ; d’autres récits montrent que Shakespeare mais aussi ses contemporains répugnent à l’invention des fictions originales. L’histoire de Roméo et Juliette existe bel et bien. La créativité de Shakespeare s’exerce non lors de l’invention mais dans la reformulation.

 

En 1530, un Italien, Luigi Da Porto raconte dans L’Histoire récemment retrouvée de deux nobles amants, l’histoire survenue à Vérone de Romeo Montecchi et de Giulietta Capelletti. Cette nouvelle expose en détail les péripéties de l’aventure telle que nous la connaissons et restitue les sentiments des amants en leur prêtant des tirades enflammées.

 

Lecture du document 4

 

Quelle différence peut-on voir par rapport au texte de Shakespeare ?

 

En 1554, Bandello adapte ce texte en ajoutant des détails concrets qui précisent en particulier le cadre de l’histoire. Le développement de l’intrigue sur plusieurs mois permet de peindre l’évolution psychologique et Juliette est plus attachée au respect de la pudeur et de la morale.

En 1559 Pierre Boaistuau donne la traduction en français de l’œuvre de Bandello puis deux Anglais s’en servent.

1567 William Painter, The Palace of Pleasure

1562 Arthur Brooke en fait un long poème de plus de 3000 vers , The Tragical History of Romeus and Juliet.

Ce dernier est la source directe de Shakespeare.

Mais Brooke fait de son récit un texte édifiant (voir document 5)

 
 
  1. Les deux prénoms

 

Pour préparer cette partie, on demande aux élèves d’étudier l’utilisation des prénoms dans la pièce.

 

Juliette est née la veille de la fête celtique de Lammastide (1er août) nous dit-on, fête rebaptisée dans le calendrier chrétien Saint-Pierre-aux-liens. Cette date est importante car elle permet (selon F. Laroque) de remonter au moment de sa conception, qui se place alors lors de la fête d’Halloween. C’est donc au moment de la fête hivernale des morts et des ancêtres. Or, en Angleterre pendant Halloween, avaient lieu des jeux de divination au cours desquels les jeunes filles essayaient de se représenter les traits de leur futur mari. Etre conçu au moment de cette fête des morts, n’est-ce pas déjà sceller un destin qui va prendre le visage de la mort ?

Juliette prend son nom du mois de sa naissance July. En inscrivant cette date anniversaire à ce moment, Shakespeare crée un lien entre les deux noms. « July » évoque la lumière mais aussi la chaleur et par conséquent la passion, toute passion. C’est à cause des « dog days » (canicule) que Mercutio et Tybalt s’énervent, c’est peut-être aussi à cause de cette chaleur que Juliette s’embrase.

Lors de la 1ère apparition de la jeune fille, Shakespeare crée d’autres réseaux sémantiques au moyen de rapprochements de termes qu’il faut faire trouver aux élèves en anglais, le français perdant ces réseaux.

 Acte I, scène 4 (1. 154-159)
 

O, she doth teach the torches to burn bright !

It seems she hangs up upon the cheek of night
As a riche jewel in an Ethiop’s ear,
Beauty too rich for use, for earth too dear :
So shows a snowy dove trooping with crows,
As you yonder lady o’er her fellows shows.
 

L’association de “Juliet” à “Jule” par sa nourrice (I,4) crée alors un rapprochement avec le nom « jewel ». Le réseau de la lumière, de l’éclat apparaît et est d’autant plus insistant qu’on voit aussi apparaître à la rime l’oxymore « bright/night » (éclair/ nuit) . Shakespeare a souvent recours à la figure de la remotivation du nom par l’association et le jeu des sonorités.

Juliette est celle qui incarne l’éblouissement et cette comparaison deviendra d’ailleurs réalité à la fin de la pièce puisqu’elle se transforme en statue d’or.

Mais un autre mot dans ce texte retentit et fait rimer Juliette avec Jule, jewel, c’est le mot « duel ».

Les jeux de sens tissés permettent donc de voir se créer des thèmes plus subtils. Ainsi le prénom place le texte sous le signe de la chaleur, de la lumière, de l’embrasement du désir mais aussi sous le signe du combat et de la mort.

 

Quant à Roméo, François Laroque explique que le mot est issu de l’italien « romitaggio », un pèlerin se rendant à Rome. En anglais, sa sonorité est proche de « roamer » qui signifie errant. Or, dans la 1ère scène de rencontre , Roméo se comporte en pèlerin utilisant la métaphore qui va d’ailleurs transformer Juliette en sainte. Tout le jeu d’amour consiste en ce travail de la langue qui fait en fait retentir le prénom.

En associant Roméo à ce terme religieux, le texte se rapproche de l’évocation du martyr.

Enfin, le prénom est important, puisqu’il entraîne un jeu de mots entre les amants, de type pétrarquisant tandis qu’il permet à la nourrice une évocation gaillarde.

Acte II, sc 3
Dites-moi, romarin et Roméo commencent bien
 Par la même lettre, non ?
 

Oui, Nourrice, tous deux commencent bien par un « r », et alors ?

 

Ah ! tu te moques de moi ! Rrr… c’est pour les chiens. « r », c’est pour le …

 

La nourrice joue sur la 1ère syllabe du nom de Roméo et donne un tour grivois à cette explication en la rapprochant de la traduction phonique du chien qui aboie pour ensuite l’associer sans doute au mot « arse » qu’elle censure , ou qu’elle ne dit pas lorsqu’elle se rend compte de sa faute. En jouant ainsi sur le signifiant, elle ridiculise tout le discours amoureux qui fait rimer le prénom de l’amant avec les noms les plus doux, ce discours lyrique souvent composé par Roméo. Elle rejoint ici Mercutio pour tourner l’amoureux en dérision.

 

Enfin on notera l’importance même du prénom dans la bouche des amants. Le fait de le prononcer est déjà un acte d’amour. Le plaisir de nommer est important et Juliette n’en finit pas de répéter ce prénom lors de la scène 1 de l’Acte II. Elle utilise 13 fois le prénom de Roméo alors que ce dernier ne le prononce jamais. C’est même la figure mythologique d’Echo qu’elle utilise pour dire ce plaisir :

« Sinon j’envahirai l’antre où Echo sommeille ,

Pour rendre sa voix plus enrouée que la mienne

A force de crier le nom de Roméo. »

 

Mais, si le prénom est plaisir et jouissance, tout autre est le nom.

 

II. Deux amants, deux noms de famille.

 

Afin de préparer cette partie on demande aux élèves de relever dans le texte les citations qui évoquent les noms de famille et de les étudier.

 
  1. La relativité du nom

 

Juliette relativise d’abord l’importance du nom :

 

« Qu’y a-t-il dans un nom ? » (II, 1, V.86)

 

Shakespeare introduit ici la notion du hasard des mots et de leur sens. C’est une façon de montrer qu’on peut mettre ce que l’on veut dans un mot, ce que fait d’ailleurs Shakespeare en jouant sur les mots :

 

« ce que nous nommons rose / Sentirait aussi bon avec un autre nom »

 

Le nom n’est pas important dit-il ce qui est important c’est l’être. Le nom est superflu, il suffit de l’abolir et on remarque qu’il utilise l’image du papier déchiré faisant ici explicitement référence à l’acte d’écrire, Roméo utilise ainsi le verbe « déchirer » (vers 100, II, 1). Le nom n’et rien, comme l’écrivain qui a le pouvoir, d’écrire et d’effacer, les amants semblent affirmer la possibilité d’effacer le nom de famille.

« Appelle-moi seulement amour et je serai baptisé à nouveau 

Désormais, plus jamais je ne serai Roméo ». (93-94)

D’ailleurs pour ne pas utiliser le nom ni même le prénom entaché par l’association inéluctable avec Capulet, Roméo s’adresse à Juliette en la renommant :

« archange de lumière » (69), « ma chère sainte » (98) , « ma belle » (104) , « Madame » (150) , « le cher amour de mon cœur » (158) , « mon amour » (173) , « mon tout petit gerfaut » (210).

 

Mais même si Roméo accepte d’oublier , d’effacer le nom, il est là comme une seconde peau qu’il est impossible d’arracher, il est l’obstacle, l’écran entre leur amour.

 
  1. Le poids et la fatalité du nom.

 

A l’Acte II, scène 1 Juliette demande à Roméo :

« Renie ton père et abdique ton nom ».

Elle-même veut perdre le nom qu’elle porte « je cesserai d’être une Capulet ».

D’ailleurs, dès que Roméo apprend l’identité de la mère de Juliette , il est terrassé (I, 5) :

« C’est une Capulet ? »

L’expression tombe comme un couperet, c’est le début de la tragédie, de l’expression d’un amour impossible. Les sentiments de haine sont liés au nom de famille comme le réitèrent les deux personnages :

« c’est un Montaigu

Le fils unique de votre grand ennemi »

« aimer la source de ma haine ».

Cependant le nom est l’enveloppe dont il est impossible de se défaire comme l’indique Juliette : « N’es-tu pas Roméo et un Montaigu ? ».

La conjonction de coordination a ici un sens de conséquence inéluctable. C’est donc parce que tous deux portent un nom qu’ils ne peuvent s’aimer. Ces deux noms de famille sont de véritables antithèses, fonctionnent comme des oxymores.

Ainsi même après le mariage, alors que Juliette ne porte plus le nom de son père mais celui de son mari, la tragédie continue.

Seul le tombeau qui porte généralement le nom de famille les unira. C’est dans le tombeau des Capulet que peuvent s’unir les amants et qu’ils sont reconnus comme tels. Le nom inscrit sur la pierre devient le linceul des deux amants, il est au sens propre la chape qui les empêche de s’aimer et les mène à la mort.

On peut se demander quels noms vont figurer désormais sur le tombeau des deux amants : le nom va certainement disparaître au profit des prénoms qui effacent les dissensions.

 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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