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Pratiquer la lecture analytique

07 / 10 / 2011 | le GREID Lettres

Pratiquer la lecture analytique au collège et au lycée
pour développer des compétences de lecteur
et préparer les élèves à l’épreuve orale de l’EAF

 
Compte rendu d’animations de mai-juin 2009 et de mai-juin 2011 dans le cadre de la présentation des nouveaux programmes de français au collège et au lycée 
 
 
 Un des objectifs du professeur de français est de développer chez tous les élèves des compétences leur permettant de comprendre un texte, de le goûter et d’en proposer une lecture. L’épreuve orale à laquelle les élèves sont soumis à la fin de la classe de Première teste la capacité des candidats à être autonomes : il ne s’agit pas pour eux de « réciter » le cours de leur professeur, une explication parfaitement organisée et complète qui leur aurait été proposée en classe, mais de répondre à une question, inconnue d’eux, sur un texte qu’ils ont travaillé au cours de l’année de façon ciblée – car en lien avec une problématique de séquence. « L’examen oral a pour but d’évaluer la capacité du candidat à mobiliser ses connaissances. Il doit lui permettre de manifester ses compétences de lecture, d’exprimer une sensibilité et une culture personnelles et de manifester sa maîtrise de l’expression orale ainsi que son aptitude à dialoguer avec l’examinateur. […] Dans la première partie de l’épreuve, le candidat rend compte de la lecture qu’il fait d’un texte choisi par l’examinateur dans le descriptif des lectures et activités. Cette lecture est orientée par une question initiale à laquelle il doit répondre en partant de l’observation précise du texte, en menant une analyse simple et en opérant des choix afin de construire une démonstration. On n’attend donc de lui ni une étude exhaustive du texte ni la simple récitation d’une étude faite en classe. » (BO n°3 du 16 janvier 2003)
 
L’exercice permettant aux enseignants de préparer les élèves à cette épreuve, et ce dès leur entrée au collège, est la lecture analytique. De fait, elle « se définit comme une lecture attentive et réfléchie, cherchant à éclairer le sens des textes et à construire chez l’élève des compétences d’analyse et d’interprétation. Elle permet de s’appuyer sur une approche intuitive, sur les réactions spontanées de la classe, pour aller vers une interprétation raisonnée  » (Programmes de l’enseignement de français au collège, BO. n°6 du 28 août 2008, p. 2), « la lecture analytique vise la construction progressive et précise de la signification du texte, quelle qu’en soit l’ampleur ; elle consiste donc en un travail d’interprétation que le professeur conduit à partir de leurs réactions et de leurs propositions » (Programmes de français en classes de 2nde et de 1ère,B.O. du 30 Septembre 2010).
La lecture analytique est donc une activité de classe, un travail collectif interprétatif que le professeur orchestre. Elle n’est pas tant un produit qu’une recherche en commun, une exploration, un cheminement, une patiente construction, un processus collectif de dévoilement du/des sens à partir d’un questionnement qui aura été adroitement établi par la classe au départ. Elle est avant tout le cheminement des élèves permis par le guidage souple du professeur.
Partant de là, il n’existe pas de pratique standard de la lecture analytique (enseigner une prétendue « méthode de lecture analytique » est un non-sens). On privilégiera toutefois les principes qui suivent.
 
Pour lancer l’étude d’un texte, les élèves peuvent être invités à émettre leurs premières réactions et/ou hypothèses de sens face au texte spontanément à l’oral. Le professeur les recueille et les consigne au fur et à mesure au tableau. Ces remarques de départ peuvent aussi être préparées « stylo en main », un temps de réflexion pouvant être accordé à chacun de manière individuelle avant l’expression orale. On peut imaginer aussi des situations où l’enseignant jugera intéressant de demander aux élèves de noter, après une lecture-découverte, quelques mots, voire phrases, du texte spontanément retenus. Il est des cas où l’enseignant préférera recourir à une première question, ouverte, donnant la possibilité aux élèves de se sentir impliqués, une question qui vise à les faire réfléchir sur ce que dit le texte et pour quoi il le dit. En effet, une question ouverte ne doit pas être une question vaste, qui laisse les élèves dans l’embarras, comme « Qu’est-ce que vous pensez de ce texte ? » ou « Que vous inspire-t-il ? ». C’est plutôt une question qui ouvre la voie de l’appropriation du texte par les élèves. Cette question sera élaborée à partir des réactions que la classe peut avoir manifestées au cours de la lecture que le professeur a réalisée (« Pourquoi avez-vous ri ? », ou, au contraire, « Je pensais que vous alliez rire, il n’en a rien été : pourquoi ? »). Elle peut interroger le rattachement du texte à la séquence en cours (« Pourquoi vous proposer ce texte dans une séquence consacrée à l’autobiographie ? »)[1]. Plus simplement, on peut également laisser le temps aux élèves de répondre à ces deux questions : « qu’est-ce que j’ai compris, retenu de ce texte ? », « Qu’est-ce que j’ai ressenti ? ».
L’enseignant peut parfois aussi se donner le droit de proposer de lui-même des questions « existentielles » qui favoriseront le débat et l’interprétation (« Pourquoi la chèvre de Monsieur Seguin préfère-t-elle la liberté au risque de sa vie ? »[2]) ou encore des questions qui posent une énigme, du côté de la production du texte ou du côté de sa réception (« Pourquoi ce titre « Les fées » dans le conte de Perrault ? » ou « Comment lire le titre de ce fabliau, Estula ? »[3]).
Avec certains textes, l’enseignant – et parce qu’il voit là une stratégie judicieuse - peut également privilégier une entrée stylistique réduite : attirer l’attention de la classe sur la longueur des répliques des différents personnages, faire remarquer la prégnance de telle métaphore, etc. Là encore, cette entrée dans l’analyse devra permettre de fonder un projet de lecture global problématisé.
Dans tous les cas de figure (parole spontanée des élèves, guidage du professeur, mots inducteurs, etc.), ce premier matériau de réflexion sur le texte, ce premier niveau de compréhension, de réception et d’appropriation, mis en commun, discuté, étoffé éventuellement grâce à quelques demandes complémentaires du professeur, débouchera sur une problématique de lecture négociée. Par exemple : « certains semblent penser que tel animal est valorisé dans notre fable et d’autres non. Demandons-nous alors qui le fabuliste valorise, de quelles façons précises et dans quel but » ; « vous avez finalement retenu pour l’essentiel des mots qui tournent autour de deux thèmes. Comment ces deux thèmes sont-ils liés ? Ne peut-on pas en trouver un autre ? Quelles sont les ambitions du poète ? » ; « vous comprenez mal ce qu’il se passe ici entre les personnages mais êtes sensibles à la beauté du texte. Je vous propose de retenir le double projet de lecture suivant : quelles relations sont précisément évoquées ici ? Et d’où vient pour l’essentiel la beauté du texte ? ».
 
Aussi nous invitons les professeurs à n’avoir pas recours à des questionnaires, que ceux-ci soient écrits au tableau, suivis sur le manuel, photocopiés ou vidéoprojetés : ils conduisent les élèves à un parcours morcelé du texte (qui, en outre, leur est imposé et a peu de chance de coïncider avec leur propre parcours de lecture), à un "picorage" peu pertinent[4] , à un éparpillement de la lecture quand, au contraire, les collégiens comme les lycéens ont besoin d’apprendre à articuler pour construire une cohérence d’ensemble. Par ailleurs, en habituant les élèves à travailler systématiquement à partir de questionnaires, on fait d’eux des "répondeurs aux questions", des exécuteurs d’exercices et non des êtres pensants, des sujets lecteurs impliqués dans ce qu’ils lisent.
 
Pour mettre en place le type de démarche que nous préconisons, cela implique que le professeur considère l’élève comme un vrai lecteur, qui a des choses à dire sur le texte, et qu’il interroge sa classe de manière que les élèves échangent entre eux. Il est essentiel que le professeur mette tout en oeuvre pour qu’il y ait co-écoute et débat, pour que la parole constitutive de l’interprétation jaillisse et circule. Cela lui demande donc de favoriser les « questions élucidantes[5] » et d’une façon générale d’être conscient de ses « actes de langage » et de l’effet de ses différentes interventions (demander une information pour faire progresser le raisonnement, par exemple[6]). On rappelle ici qu’un texte ne peut pas avoir de sens totalement singulier : on y perdrait le sens commun qui existe bien, mais qui est fait de toutes les particularités d’un lectorat donné. Ce qui fait qu’un texte ne manque jamais de richesses, c’est par ailleurs la perception de singularités nouvelles.
Cette perspective libère d’ailleurs le professeur de la hantise d’une interprétation débridée menant tout droit au contresens : les « limites de l’interprétation »[7] se trouvent à la fois dans la confrontation des lectures de chaque élève et surtout dans le texte lui-même et ce qu’il ne peut pas dire, soit par lui-même soit par son contexte, et c’est à ce moment que l’expertise du professeur intervient.
 
On sera également vigilant, au fil du parcours herméneutique, aux points suivants :
  • l’intérêt à toujours articuler micro-lectures (seule l’attention portée aux détails du texte permet en effet d’apporter des éléments de réponse déterminants au regard de la problématique et d’éviter une lecture impressionniste) et macro-lectures (il est essentiel de revenir régulièrement, avec une classe de collège ou lycée, à une perception d’ensemble du texte) ;
  • l’importance de l’étape finale de toute lecture analytique. Il s’agit de mesurer le parcours mené, l’interprétation construite, de faire le point, de rassembler les éléments de réponse les plus saillants au regard du projet de lecture voire, parfois, de mettre au jour les nouvelles questions qui auraient pu émerger lors de l’étude ;
  • la nécessité de trouver un équilibre entre la mise en évidence d’une ou plusieurs singularités du passage (signification, particularités de la construction, saveurs du texte, etc.) et ce que, dans le cadre du projet séquentiel défini par le professeur et de l’Objet d’Etude, le texte est censé montrer, voire illustrer.
On retiendra également que l’exercice de la lecture analytique peut se mener sur une heure ou deux heures. Dans le second cas de figure, la deuxième heure ne sera pas cependant un étirement de la première. Soit, on voudra faire travailler par exemple les élèves sur une organisation des propos qui se sont tenus pendant la première heure, soit –autre exemple-, tout en prenant appui sur l’interprétation dégagée lors de la première heure, on proposera aux élèves d’examiner une nouvelle piste, que le professeur, dans le cadre de son projet séquentiel – et aussi parce que cela lui tient à cœur -, souhaite ouvrir avec sa classe.
 
La lecture analytique peut ensuite donner lieu à un travail d’organisation de la pensée collective. Ainsi on habitue les élèves à concevoir, non pas un mais des plans possibles pour communiquer leur lecture, entraînement formateur à l’épreuve écrite de L’EAF. On pensera, dans ce cadre, à mettre en place des démarches diverses et variées : recherches des différentes questions qu’un jury pourrait être amené à poser sur le texte que l’on vient de travailler en lecture analytique, élaboration collective ou en petits groupes de plusieurs plans en fonction de ces différentes questions.
 
Dans un souci d’équité, et parce qu’il est essentiel de former des lecteurs compétents, les professeurs du collège comme du lycée doivent prendre conscience de la nécessité de préparer chacun de leurs élèves à l’épreuve de l’EAF telle qu’elle est définie dans les textes officiels. Nous espérons que les quelques conseils que nous avons eu le plaisir de prodiguer lors des animations sur les nouveaux programmes de collège et lycée, retranscrites ici, les y aideront.
 
Marie-Laure LEPETIT, Isabelle NAUCHE, Daniel STISSI, Jean-Philippe TABOULOT
IA-IPR Lettres
Académie de CRETEIL
 

 


[1] Vous trouverez des exemples de questions dans le compte rendu que des professeurs de français du collège Maurice Thorez de Stains ont rédigé sur leur expérience de la lecture analytique : « La lecture analytique au collège Maurice Thorez », article publié sur ce site.
[2] Serge BOIMARE, Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2008
[3] Cf supra, « La lecture analytique au collège Maurice Thorez ».
[4] « Le questionnaire de lecture » provoque « une atomisation du sens alors que nous désirons provoquer chez l’élève une entrée immédiate dans le texte », Magali Lagrange, Karine Risselin, Textes et langue en 6e, CRDP Grenoble, 2011, p. 27.
[5] Britt-Mari BARTH, L’apprentissage de l’abstraction, Retz, 2004 pour la nouvelle édition 
[6] Magali Lagrange, Karine Risselin, dans Textes et langue en 6e, CRDP Grenoble, 2011, citent p.151 une typologie des interventions de l’enseignant en atelier de négociation graphique mais dont on s’inspirera avec profit pout toute autre activité de débat.
[7] Umberto Eco, Lector in fabula, le rôle du lecteur, Le livre de poche, 1979.
 
 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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