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Objet d’étude : convaincre, persuader et délibérer (1re)

20 / 06 / 2007 | le GREID Lettres

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par
Bernard Martial, professeur au lycée Langevin Wallon
de Champigny-sur-Marne (94)


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Textes

Texte 1 : La Controverse de Valladolid, Jean-Claude Carrière (1993)

Cet extrait, qui est toujours sous droit d’auteur, ne peut être reproduit ici. Nous en citons le début et la fin.

1550, dans un couvent de Valladolid en Espagne. Le pape a envoyé un des ses cardinaux pour trancher le débat qui oppose le philosophe Sepulveda au dominicain Bartolomé de Las Casas. Le dominicain se pose en défenseur des Indiens et soutient qu’ils sont des hommes à l’égal des habitants de l’Europe. Sepulveda affirme le contraire en disant que les Indiens sont nés pour être esclaves. Dans cet extrait, c’est au cardinal, légat du pape, que s’adresse Sepulveda au début de l’entretien.

 

 

- Eminence, les habitants du Nouveau Monde sont des esclaves par nature. En tout point conformes à la description d’Aristote.

[…]

- Frère Bartolomé, dit le légat, vous aurez de nouveau la parole, aussi longtemps que vous voudrez. Rien ne sera laissé dans l’ombre, je vous l’assure. Mais pour le moment, restez silencieux.

 

Texte 2 : Histoire des deux Indes, Abbé Raynal- Diderot (1770)

Parue en 1770, sans nom d’auteur, augmentée de plusieurs éditions jusqu’en 1780, l’Histoire des deux Indes est une œuvre considérable (10 volumes) consacrée à l’expansion coloniale de l’Europe au XVIIIe siècle. Attribuée à l’abbé Raynal, c’est en fait un ouvrage collectif. Diderot y collabora, et rédigea probablement les pages consacrées à la dénonciation de l’esclavage.

- Mais les nègres sont une espèce d’hommes nés pour l’esclavage. Ils sont bornés, fourbes, méchants ; ils conviennent eux-mêmes de la supériorité de notre intelligence, et reconnaissent presque la justice de notre empire [1].

- Les nègres sont bornés, parce que l’esclavage brise tous les ressorts de l’âme. Ils sont méchants, pas assez avec vous. Ils sont fourbes, parce qu’on ne doit pas la vérité à ses tyrans. Ils reconnaissent la supériorité de notre esprit, parce que nous avons perpétué leur ignorance ; la justice de notre empire, parce que nous avons abusé de leur faiblesse. Dans l’impossibilité de maintenir notre supériorité par la force, une criminelle politique s’est rejetée sur la ruse. Vous êtes presque parvenus à leur persuader qu’ils étaient une espèce singulière, née pour l’abjection et la dépendance, pour le travail et le châtiment. Vous n’avez rien négligé pour dégrader ces malheureux, et vous leur reprochez ensuite d’être vils.

- Mais ces nègres étaient nés esclaves.

- A qui, barbares, ferez-vous croire qu’un homme peut-être la propriété d’un souverain ; un fils, la propriété d’un père ; une femme, la propriété d’un mari ; un domestique, la propriété d’un maître ; un nègre, la propriété d’un colon ? Etre superbe [2] et dédaigneux qui méconnais tes frères, ne verras-tu jamais que ce mépris rejaillit sur toi ? […]

- Mais l’esclave a voulu se vendre. S’il s’appartient à lui-même, il a le droit de disposer de lui. S’il est maître de sa vie, pourquoi ne le serait-il pas de sa liberté ? C’est à lui à se bien apprécier. C’est à lui à stipuler ce qu’il croit valoir. Celui dont il aura reçu le prix convenu l’aura légitimement acquis.

- L’homme n’a pas le droit de se vendre, parce qu’il n’a pas celui d’accéder à tout ce qu’un maître injuste, violent, dépravé pourrait exiger de lui. Il appartient à son premier maître, Dieu, dont il n’est jamais affranchi [3]. Celui qui se vend fait avec son acquéreur un pacte illusoire : car il perd la valeur de lui-même. Au moment qu’il la touche, lui et son argent rentrent dans la possession de celui qui l’achète. Que possède celui qui a renoncé à toute possession ? Que peut avoir à soi, celui qui s’est soumis à ne rien avoir ? Pas même de la vertu, pas même de l’honnêteté, pas même une volonté. Celui qui s’est réduit à la condition d’une arme meurtrière, est un fou et non pas un esclave. L’homme peut vendre sa vie, comme le soldat ; mais il n’en peut consentir l’abus, comme l’esclave : et c’est la différence de ces deux états.

Abbé Raynal- Diderot, Histoire des deux Indes

[1] Empire : puissance, autorité.
[2] Superbe : orgueilleux, présomptueux.
[3] Affranchi : libéré, délié de ses devoirs à l’égard d’un maître.

 

Texte 3 : Abolition immédiate de l’esclavage, Victor Schoelcher (1842)

Victor Schoelcher est entré dans l’histoire le 28 avril 1848, lorsqu’il fit adopter l’abolition de l’esclavage aux colonies par le gouvernement de la Iie République. Cette notoriété ne doit pas masquer le combat obstiné qu’il a mené antérieurement. Le texte suivant, datant de 1842, expose quelques-uns des innombrables arguments rassemblés par Victor Schoelcher en faveur de l’abolition sans délai de l’esclavage.

Parce que le nègre et le blanc sont des rameaux divers de l’arbre humain, nous ne voyons pas pourquoi on ferait l’un supérieur à l’autre, ni que l’un doive être mis au-dessus ou au-dessous de l’autre. Il ne nous est point encore clairement démontré qu’un tissu réticulaire [4] à sécrétion noire, ait plus de génie qu’un tissu réticulaire à sécrétion blanche ; que des cheveux plats soient plus intelligents que des cheveux crépus ; des lèvres épaisses et brunes, plus sottes que des lèvres minces et rouges ; des sclérotides [5] jaunâtres, humides et injectées de sang, plus grossières que des sclérotides mates et transparentes ; des talons élargis plus incapables que des talons droits ; mais ces nombreuses infériorités fussent-elles encore avérées, il nous serait impossible d’y voir une démonstration bien évidente que le nègre doive être esclave, car elles pourraient faire que ce soit un autre homme, mais elles ne l’empêcheraient pas d’être homme ; et cela étant, rien ne peut excuser son esclavage. Voilà pourquoi, selon nous, c’est une proposition exécrable au point de vue philosophique, impie [6] au point de vue providentiel, que celle-ci : « Dieu n’a pas voulu que le nègre fût libre ». Le nègre a surabondamment prouvé qu’il voulait être libre, en tuant ceux qui le faisaient esclave. Qu’on ne s’enivre pas de folles rêveries d’orgueil. Jamais on nez vit les animaux domestiques se révolter contre la puissance de l’homme. Son ascendant sur eux continuel et perpétuel établit son droit de maître, tandis que les tentatives continuelles, perpétuelles, et quelquefois heureuses des noires pour s’émanciper, confondent chaque jour la prétendue supériorité des blancs.

Victor Schoelcher, Des colonies françaises. Abolition immédiate de l’esclavage

[4] Tissu réticulaire : tissu conjonctif de l’organisme
[5] Sclérotides : blancs de l’œil.
[6] Impie : étymologiquement, « qui n’est pas pieux », « qui offense la foi, la religion ».

 

Texte 4 : Règles sur le commerce des esclaves en général et des nègres en particulier (1698)

Demande

On demande si, en sûreté de conscience, on peut vendre des Nègres ?

Ceux qui en font scrupule disent qu’il y a de l’inhumanité d’acheter et de vendre des hommes.

Que n’étant pas permis d’acheter une chose que l’on sait être dérobée, on ne peut acheter les Nègres, parce qu’ils sont pris et enlevés de force, c’est un vol usité parmi eux, ils se dérobent réciproquement. Cela est public et par conséquent il n’est pas licite d’entrer dans ce commerce avec eux.

-1e Ceux qui sont d’un sentiment contraire disent que c’est un grand avantage pour ces pauvres malheureux ; parce qu’étant portés dans un pays chrétien, ils y sont instruits et baptisés, à quoi ils n’ont aucune répugnance, mais au contraire on trouve encore une admirable disposition : et il y en a plusieurs qui demandent instamment le baptême, lorsqu’ils sont parmi nous pour être délivrés du diable , dont ils assurent qu’ils sont maltraités et battus ; ils seraient privés de ce bonheur dans leur pays, qui est tout idolâtrie, et où il n’y a pas de missionnaires catholiques.

-2e Tous les princes chrétiens permettent à leurs sujets de faire commerce.

-3e Les Espagnols et les Portugais, qui se piquent d’être les meilleurs catholiques du monde, sont ceux qui en font le plus grand commerce.

-4e Notre Roi Très Chrétien ne fait point de difficulté d’acheter des esclaves turcs, quoiqu’il y en ait très peu qui embrassent le christianisme.

-5e Les Nègres sont ordinairement mieux nourris, habillés et soignés dans leurs maladies chez les chrétiens que chez eux.

-6e Le roi des pays où ils naissent souffre ce commerce. Il permet aux chrétiens de faire battre le tambour, pour avertir tous ceux qui ont des esclaves à vendre, qu’un tel jour il se présentera des marchands pour les acheter.

 

Réponse

Le Conseil de Conscience soussigné estime qu’avant de répondre, il faut établir quelques principes qui pourront servir à rendre la résolution qu’on demande plus facile, et en même temps plus intelligible.

La servitude n’est point de droit naturel : l’homme au contraire est né libre ; mais elle a été introduite par le Droit des Gens […] [suivent des exemples bibliques, tirés ensuite du droit canon, du droit civil antique et byzantin]

Le Droit divin et humain permettent les esclaves ; d’où il s’ensuit qu’on peut les vendre, les acheter, les changer comme les autres biens dont on est légitime possesseur.

La plus grande difficulté touchant le cas présent n’est pas de savoir si l’on peut vendre des esclaves : cela est certain par les principes ci-dessus établis ; mais de savoir si de la manière que se fait ordinairement le commerce des Nègres et autres esclaves, il n’est point injuste. Plusieurs auteurs qui ont examiné cette question, soutiennent que ce commerce qui se fait dans la Guinée, en Ethiopie et en d’autres pays infidèles est ordinairement injuste ; en sorte que les marchands qui vendent ou achètent là des esclaves pèchent mortellement, et doivent leur rendre la liberté. […]

Pour expliquer ceci, il faut supposer qu’il y trois manières différentes de servitude, ou trois titres en vertu desquels on peut devenir esclave, jure belli, condemnatione et emptione [7]. Or quoique tous ces titres soient justes en eux-mêmes, néanmoins il arrive très souvent qu’ils cessent de l’être par les circonstances.

Premièrement, pour ce qui regarde la guerre, qui donne droit de faire des esclaves quand elle est juste : c’est une chose assez ordinaire chez les Barbares de se faire la guerre entr’eux par passion, pour des choses légères, et dans la vue seule de faire des esclaves, prévoyant que les Portugais et autres marchands viendront dans un certain temps pour les acheter ; ainsi quand les marchands savent comme la plupart ne l’ignorent pas, que les Nègres qu’ils achètent ont été faits esclaves de cette manière, ou qu’ils ont été dérobés, ils ne peuvent point les acheter ; parce que le titre de leur servitude est injuste et que le vendeur les a acquis par fraude ou par violence […]

Quant au second titre, il arrive souvent que ces Barbares condamnent à perdre la liberté, par haine et par colère ; en un mot, presque toutes les lois de ces pays-là sont tyranniques. De là vient que des Chrétiens ne peuvent sans péché, acheter les esclaves qui ont ôté la liberté de cette sorte, ni les retenir dans l’esclavage.

Enfin, il est permis d’acheter des Nègres, soit qu’ils se vendent eux-mêmes, soit qu’ils vendent leurs enfants, ce qu’ils peuvent faire en certains cas ; mais comme presque toujours ils ignorent ce que c’est que l’esclavage auquel ils s’engagent, que ceux qui les achètent ne leur en font jamais le détail, et que d’un autre côté cette vente se fait hors des cas dans lesquels une personne peut se vendre ; il s’ensuit que ce dernier titre est injuste, et qu’on ne peut posséder légitimement des esclaves vendus de cette sorte. […]

Il suit de tout ceci, qu’on ne peut en sûreté de conscience acheter ni vendre des Nègres, parce qu’il y a de l’injustice dans ce commerce. Si néanmoins, tout bien examiné, les Nègres qu’on achète sont esclaves à juste titre, et que du côté des acheteurs il n’y ait ni injustice ni tromperie, pour lors selon les principes établis, on peut les acheter et les vendre aux conditions qu’on a marquées : on pourrait même sans aucun examen, les acheter, si c’était pour les convertir et leur rendre la liberté.

Délibéré ce 15 avril 1698 de Lamet et Fromageau, Docteurs de la Maison et Société de Sorbonne, Dictionnaire des cas de conscience, t.I, 1733, article « Esclaves »

[7] Droit de guerre, de condamnation, d’achat.

 

Ecriture

I. PREMIERE PARTIE : QUESTIONS COMMUNES (4 points)

En vous appuyant sur les quatre textes du corpus ainsi que sur les textes de Montesquieu, « De l’esclavage des Nègres » et de Voltaire, « Le Nègre de Surinam », vous répondrez d’abord à la question suivante :

Quels arguments les esclavagistes donnent-ils pour justifier l’esclavage et le commerce des esclaves ?

Ne vous contentez pas pour répondre de recopier les extraits du texte. Votre réponse doit être structurée et argumentée.

 

II. DEUXIEME PARTIE : COMMENTAIRE DU TEXTE 1 (16 points)

Vous ferez le commentaire composé du texte extrait de la Controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière.

Vous comprendrez d’autant mieux ce texte évidemment que vous aurez lu l’œuvre.

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Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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