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Mener une explication linéaire

05 / 09 / 2019 | le GREID Lettres






par Anne-Marie Garcia


Imaginons, dans le cadre de l’étude de l’œuvre intégrale imposée, Les Fleurs du mal de Baudelaire, la lecture linéaire en classe de « La Muse vénale ».
 
Le préalable à la séance :

  • Les élèves sont déjà entrés dans l’œuvre. Une problématique a été posée, en relation avec le parcours associé proposé par le programme (l’alchimie poétique : la boue et l’or) :

 
Que transforme le poète ?
 
(L’idée étant d’arriver à construire une lecture globale de l’œuvre qui mette en évidence que le poète transmute à la fois la boue en or (« Une Charogne », par exemple et pour faire simple), l’or en boue (ici, la figure de la Muse), de se demander comment il y parvient, quand il y parvient…et dans quel but.

  • Pour cette séance, les élèves découvrent le sonnet en classe, sans titre, et d’une façon progressive (cf. déroulé qui suit) :
  1. 2 propositions d’entrée dans le texte et la découverte des deux premiers quatrains
  2. Un premier temps de lecture linéaire
  3. Le débat au sein de la classe sur la suite
  4. La découverte des deux tercets
  5. Le deuxième temps de la lecture linéaire.

 
 
 


 
 
 
 

 
 
 
 
 

 
Ô muse de mon cœur, amante des palais,
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ?

Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l’or des voûtes azurées ?

Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de chœur, jouer de l’encensoir,
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,

Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu’on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
 

 

  1. Faciliter l’entrée de l’élève dans le texte, surtout lorsque son sens littéral n’est pas simple.
  • La question du lexique : l’appareil de notes surcharge la lecture, trouver d’autres moyens pour faire accéder au sens littéral (même si l’éclaircissement du lexique devra bien apparaître à un moment) ; par exemple, renvoyer l’élève à ses intuitions, lui faire prendre conscience de sa démarche déductive : le « tison », vu le contexte, sert forcément à chauffer… ; « saltimbanque » contient le mot salto (dont tous les élèves ont entendu parler en sport) ; « marbrées » (gâteau ?), etc.
  • trouver le chemin, rapide et aisé, qui va conduire au cœur du texte et de ses enjeux.

Plusieurs solutions pour ce sonnet :
 
SOLUTION 1

  1. Faire écrire en amont : 3 minutes (pas plus, pour éviter que ce ne soit chronophage, et pour mobiliser le plus rapidement possible la concentration et l’énergie de l’élève), écrire quelques lignes / vers qui commencent par « Ô muse de mon cœur », que l’on a écrit au tableau. (évidemment, cela suppose que le mot muse soit connu. On peut avoir demandé la veille à un élève de chercher et de l’expliquer à ses camarades : temps de parole maximal : 2 minutes)

L’apostrophe pleine d’emphase, le complément du nom qui dit l’appartenance affective, l’allitération en (m) tel un murmure amoureux, tout invite à écrire quelques lignes lyriques : une déclaration amoureuse sans doute, ou bien une confidence : tout est possible. Mais il y a fort à parier que les élèves vont proposer ce type de discours.
On écoute ensuite quelques propositions.
Les élèves doivent lire et justifier rapidement leur choix : pourquoi ont-ils écrit ce type de texte ? Et on construit ainsi, avec eux, l’explication de l’incipit…en convoquant, si nécessaire, les éléments cités plus haut.
On écrit ensuite au tableau la suite du vers : pour se rendre compte que les prévisions des élèves étaient fausses : L’amour déclaré du premier hémistiche est déçu dès le deuxième par le chiasme, « muse de mon cœur / amante des palais », qui dit un amour non réciproque. Le poète aime la muse qui aime…les palais ! Au « cœur », métonymie du sentiment, du lyrisme, Baudelaire oppose « des palais », pluriel qui recouvre une réalité prosaïque. Au désir amoureux, est substitué celui de la possession matérielle. Le premier vers construit donc :

  • une impossibilité de dialogue entre le poète et sa muse.
  • une figure de la muse peu conventionnelle : une femme qui aime le luxe plus que celui qu’elle doit inspirer.

Le petit écrit de travail proposé aux élèves a donc créé une attente qui permet de mesurer l’écart du poète avec la norme, la convention, et ainsi de plonger assez rapidement dans les enjeux essentiels du sonnet.
Au terme de cette lecture du premier vers, il est en effet possible de proposer un projet de lecture, et ce, sans avoir lu le poème, en relation avec les deux déductions citées plus haut :

  1. quelle relation le poète entretient-il avec sa muse ?
  2. ou : quelle image de la muse poétique apparaît ici ?

 

  1. On donne alors à lire les deux premiers quatrains.

…afin de vérifier que les deux intuitions mises en évidence dans le premier vers se confirment.
 On peut alors proposer aux élèves un très court moment de recherche, en petits groupes : 5 minutes pour trouver des éléments de réponse ET des propositions de lecture à voix haute qui justifient leurs remarques. Pour gagner du temps, on divise la classe en 2. Une partie prend en charge la 1ère, une partie prend en charge la 2ème.

  1. La première question permet de porter un regard panoramique sur les 2 quatrains, regard indispensable pour éviter l’émiettement de la lecture linéaire. On peut ainsi remarquer que :le rapport à la muse semble inversé : c’est le poète qui s’inquiète de ce qu’elle va devenir et non l’inverse (on attendrait d’une muse qu’elle soit protectrice) : questions / verbes au futur qui expriment l’inquiétude de son avenir / verbes prosaïques (« auras-tu / « racolteras-tu ») ou aux sonorités dures (allitération en R : « ranimeras-tu »)

 

  1. Un premier temps de lecture linéaire

La deuxième question permet de porter un regard plus détaillé et de constater que Baudelaire oscille entre une représentation conventionnelle et une représentation dégradée. On l’a constaté dès le premier vers dont les 2 hémistiches donnent à voir les deux images. Cela se poursuit ensuite :
Quatrain 1

  • La subordonnée de temps (quand Janvier lâchera ses Borées ») est une périphrase poétique pour désigner l’hiver. Le mois est allégorisé, et Baudelaire se réfère à la mythologie, avec les « Borées ». Le ton est donc précieux et conforme à une poésie classique.
  • On retrouve ce principe dans le complément circonstanciel du vers suivant, vers particulièrement travaillé, « Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées » : antithèse noir / neigeuse ; allitération en (N), antéposition précieuse des 2 adjectifs.

Ainsi, les circonstances créent un univers plutôt conventionnel sur le plan poétique.

  • Cependant, ce caractère conventionnel est déjoué au dernier vers du quatrain : l’enjambement qui a suspendu le moment de découvrir le COD de « auras-tu » suscite un effet déceptif au regard de la pompe des vers 2 et 3. Il s’agit en effet d’avoir… « un tison pour chauffer tes deux pieds violets » ! Tout ici exprime le prosaïsme : le « tison » (Baudelaire aurait pu préférer « âtre » ou « foyer »), « chauffer » plus prosaïque que « réchauffer », « pieds » dont le prosaïsme est accentué par la cheville « deux », enfin « violets » qui fait référence explicitement à la couleur bleutée d’une peau qui a froid. L’image de la muse est donc celle d’une femme seule, auprès du feu (« Quand vous serez bien vieille… »)
  • On peut alors se demander si la dégradation opérée dans ce dernier vers n’était pas à l’œuvre dans les deux précédents : de fait, l’accumulation des effets poétiques classiques notés plus haut est suspecte. Comme souvent, chez Baudelaire, cette surenchère est signe d’ironie. Ainsi, le poète se moquerait-il d’une certaine emphase poétique, il l’imiterait, la parodierait pour mieux faire ressortir, par contraste, la misère de sa propre muse. De fait, si on suit cette piste métatextuelle, on se rend compte que les « pieds » peuvent aussi désigner les syllabes en poésie. Dans ce cas, la muse a les pieds…glacés, autant dire que sa poésie est figée, paralysée. La diérèse sur « violets » fonctionne comme un signal. Et il est permis d’entendre aussi le mot « laid ». On peut même aller jusqu’à se demander si le système des rimes dans ce premier quatrain : abba (é/è) ne conforte pas cette hypothèse. La différence entre le (é) fermé et le (è) ouvert fait entendre à la lecture une presque platitude, en tout cas oblige à une application dérisoire.

Quatrain 2 : il est facile de constater que la dégradation de la muse se poursuit dans le quatrain suivant à travers deux détails de son corps (les épaules, le palais)

  • Les « épaules marbrées » peuvent avoir 2 explications : soit la muse a froid, soit elle est frappée, maltraitée, sa peau ayant des ecchymoses. On peut faire entendre, dans ce vers, l’allitération en (R), et la présence de l’occlusive (K) à la césure (« donc ») qui créent une sonorité assez dure, peu harmonieuse.
  • Le complément de moyen qui suit (vers 6) suit, selon le modèle des vers 2 et 3 du quatrain 1 une forme recherchée : antéposition précieuse de l’adjectif (« nocturnes rayons »), métaphore du halo de la lune capable de « percer » (passer à travers ? blesser ?) les « volets ». On l’aura compris, ces accents poétiques (selon le modèle conventionnel de l’écriture poétique) font contraste avec le reste du quatrain (comme c’était le cas dans le quatrain 1 pour les vers 2 et 3), prosaïque. Cette image peut être rapprochée de « Tristesse de la lune » où la lune (muse ?) est métaphorisée en une femme lascive, ou des « Bienfaits de la lune » dans les Petits Poèmes en prose. Disons que cette présence lunaire est riche de sens : elle place la muse du côté des femmes lascives, quelque peu maléfiques, lunatiques. L’astre baudelairien est plus la lune que le soleil…
  • La dégradation se poursuit aux vers 7 et 8 :
  • d’abord dans le choix de sonorités peu euphoniques : allitération en (S) trop rapprochées, (K) à la césure (qui fait écho au « donc » du vers 5), succession de (T) et (K) dans le 2ème hémistiche. Reprise de l’allitération en (R) dans le vers 8, appuyée par le mot « or » à la césure.
  • Ensuite par le sens : la muse est pauvre, l’expression pour le dire est familière (« à sec ») et permet le jeu de mots suggéré par le 2ème hémistiche : le « palais » désigne évidemment ici l’intérieur de la bouche, la muse a donc aussi soif ! elle a la bouche sèche. On comprend qu’elle souhaite boire…, dans ce contexte, de l’alcool. On peut mesurer la dégradation entre le « palais » du vers 1 et celui-ci…
  • Dans ce contexte, le vers 8 fait contraste sur le plan des sonorités et de l’écriture (par un jeu d’oscillation qu’on a désormais bien compris) : les « voûtes azurées » sont une périphrase précieuse pour désigner le ciel étoilé. Les sonorités en (Z) contrastent aussi avec celles en (R) ou (K) qui précèdent. Baudelaire, potentiellement, est ici ironique.
  • En revanche, il ne fait pas contraste sur le plan du sens ! La muse est ici, soit une mendiante qui reçoit des pièces providentielles…, soit une …prostituée (ce qui expliquerait la femme frappée du vers 5 et donnerait peut-être un autre sens à « violets », celui de violée).

 
L’étude linéaire des 2 quatrains peut donner lieu à un petit écrit de travail pour s’assurer que l’enjeu est compris : cela peut prendre :

  • La liste des effets qu’ils aimeraient faire entendre à la lecture à voix haute ET la lecture à voix haute.
  • la forme d’un paragraphe qui choisirait ou la piste 1 ou la piste 2 (on peut alors inverser les groupes). Cela a l’avantage de préparer à la rédaction du § de commentaire composé puisque sont convoquées, de toute façon, les mêmes compétences argumentatives.
  • La forme d’un oral improvisé.
  • La forme d’un choix, celui d’un titre, avec justification (avant de donner le titre réel).

Proposition de synthèse :
Au terme de l’étude des deux quatrains (et pour répondre aux deux pistes proposées plus haut), on constate combien Baudelaire entretient avec sa Muse un rapport peu ordinaire : on avait vu qu’il la protégeait, se souciait de son avenir, mais après étude plus précise, on comprend qu’il a à son égard des sentiments ambivalents : il semble la prendre en pitié, mais également la railler. Dans tous les cas, il n’est pas vraiment tendre avec elle. Par ailleurs, on a mesuré combien cette figure poétique était ici dégradée : plus rien de reste de la muse antique ou romantique. La muse baudelairienne est une femme noyée de préoccupations matérielles (ne pas mourir de froid, boire, avoir de l’argent), et potentiellement, une prostituée.
 
SOLUTION 2, plus ludique  : la devinette
On propose aux élèves une devinette (temps de réflexion 3 minutes) :
J’aime les palais
L’hiver, mes deux pieds sont violets
Mes épaules sont marbrées
Je sens ma bourse à sec
Mon palais est à sec
Je récolte l’or des voutes azurées.
QUI SUIS-JE ?
L’idéal est qu’un maximum de propositions puissent être utilisées.. et donc, de justifier, par les expressions convoquées du choix de la réponse.
 
L’intérêt de l’exercice est de préparer la visualisation de la muse telle que Baudelaire la donne à voir, et d’expliquer ou de leur faire mesurer que, si tous les mots leur sont connus, leur agencement (caractéristique de la poésie) n’est pas forcément simple : « bourse à sec » par exemple, ou « voûtes azurées » (seule expression qui posera peut-être problème)
 
Que vont trouver les élèves ? Une femme pauvre, sans doute, frappée, maltraitée, qui rêve de richesses….mais qui en gagne aussi : « je récolte l’or des voûtes azurées » peut désigner les étoiles, mais aussi plus prosaïquement, l’argent providentiel (tombant du ciel…) : on peut alors jusqu’à faire mesurer l’ironie de la métaphore, à la fois poétique, dessinant l’horizon d’un idéal et prosaïque (il s’agit bien de « récolter »). Dans cette perspective, les sonorités en (Z) sont à la fois poétiques et surjouées et s’opposent au (R) plus dur de « récolter » (l’ordre réel de la phrase, qui sera dévoilé plus tard accentue d’ailleurs cet effet par l’usage du futur : « colteras ».
Iront-ils alors jusqu’à la mendiante ? sans doute. La prostituée ? peut-être…s’ils font le lien entre les épaules marbrées (par le froid ou les coups) et le double sens de « violets » (violées) (il sera aisé ensuite lorsqu’on donnera les quatrains dans leur totalité, de faire percevoir la diérèse qui insiste sur ce mot, comme un signal pour le lecteur d’un sens caché possible.
 
On donne alors à lire les deux premiers quatrains.
(cf. Premier temps de l’explication linéaire, plus haut)
 

  1. Débat interprétatif rapide au sein de la classe.

 
Avant de lire les deux tercets, on peut demander aux élèves ce qu’ils imaginent pour la suite du poème.
Il est difficile de prévoir ce que les élèves peuvent imaginer. Tout dépend aussi du degré de connaissance de l’œuvre intégrale auquel ils sont arrivés.
Quoi qu’il en soit, on peut imaginer : une réponse de la Muse.
Or, la suite du poème va mettre à jour, là encore, une frustration, ou un décalage par rapport à la convention poétique…
 

  1. Découverte des deux derniers tercets.

Il s’agit de lire ces tercets en mesurant l’écart par rapport aux propositions données par les élèves. (Si certains ont trouvé à s’approcher des vers baudelairiens, c’est aussi intéressant, car, de toute façon il s’agit dans tous les cas de justifier de sa réponse par un examen précis du texte.)

  • 1ère découverte dès le 1er tercet : la muse ne répond pas, comme en témoigne l’étude de l’énonciation : « il te faut »…le poète reprend le tutoiement, et file la thématique de la pauvreté :
  • « pour gagner ton pain de chaque soir ». Il s’agit bien cette fois de manger (on a eu plus tôt le froid, la soif)
  • La muse est donc condamnée à la nécessité (c’est le sens de la forme impersonnelle « il te faut ») de s’adonner à des gagne-pain (au sens propre) : tous sont rattachés à l’univers religieux (qu’on avait déjà, détourné, dans la formule gagner ton pain de chaque soir et non quotidien)
  • La comparaison avec « l’enfant de chœur »
  • La référence à « l’encensoir » ou aux cantiques (te deum)
  • Mais ces références religieuses, reste d’une représentation sacralisée de la muse, sont ici ironiques : « jouer de l’encensoir » est presque oxymorique et peut faire penser au balancement des hanches de la prostituée qui, chaque soir, doit appâter le client ; de même, le vers 11 est-il construit de façon antithétique (« chanter de Te Deum auxquels tu ne crois guères »). La foi est feinte, les cantiques de louanges ne sont que stratégie. Si on file la métaphore de la prostituée, cela ferait référence aux flatteries pour appeler le passant.

A ce stade de l’explication, on peut demander aux élèves ce qu’il leur paraîtrait essentiel de faire entendre à la lecture à voix haute. On peut les guider vers l’expression de cette tension entre image traditionnelle, sacralisée et image désacralisée :

  1. Le rythme du vers 7 exprime une certaine lassitude (3 + 5 +4)
  2. La césure des vers 8 et 9 est très marquée et oppose le sacré et le profane.
  3. L’ironie est peut-être perceptible dans les sonorités peu euphoniques « chanter des te Deum » (TDTD)
  4. Enfin la rime du vers 9, avec son (è) ouvert manque d’élégance, d’autant plus qu’elle est précédée du verbe « crois », qui fait entendre un croassement qui n’a rien de musical.

Toute la strophe fait donc entendre une disharmonie, que la lecture peut mettre en évidence.
 

  • Le deuxième tercet propose un léger glissement dans la représentation de la Muse puisqu’on passe du féminin explicite des deux premiers quatrains au masculin : « saltimbanque ». Au passage, on peut remarquer que le premier tercet restait neutre et ne levait pas l’ambiguïté du masculin ou du féminin. D’aucuns pourront cependant dire que la comparaison avec « l’enfant de chœur » opérait un premier changement.

La découverte est capitale : au fond …à qui parle le poète ? Sans doute à lui-même ! Ainsi, la figure de la Muse n’est-elle qu’un artifice emprunté au bric-à-brac poétique pour mettre en scène une introspection du poète sur lui-même. Or, comment se voit-il pour finir ?

  • « saltimbanque à jeun » : le mot est polysémique puisqu’il désigne tout aussi bien un comédien, un marchand ambulant, un acrobate qu’un un orateur (mauvais) ou même un clown, chargés d’amuser les foules sur les places publiques Etymologiquement, c’est celui qui saute sur les estrades. Or, on entend le saut, dans la construction rythmique du vers (1+5), et on peut lire la référence à l’estrade théâtrale dans l’exhibition suggérée dans le deuxième hémistiche : « étaler tes appas ». Par cette locution verbale, le saltimbanque rejoint d’ailleurs la prostituée par une sorte d’hypallage. Les appas (que Baudelaire choisit d’orthographier appas c’est-à-dire selon une graphie recherchée et vieillie, et non appâts ) désignent en effet ce qui excite le désir, la cupidité. On voit mal un saltimbanque étaler ses appas.

 
Le dialogue romantique du poète et de sa muse est donc ici dévoyé (on peut penser à Musset dans ses Nuits). Qu’on imagine que la Muse existe et se tait, ou bien qu’elle n’existe pas et que le poète dialogue avec lui-même importe peu, au fond.
 


 


 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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