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Terminale L - Les Liaisons dangereuses : un roman de Laclos et un film de Frears

12 / 02 / 2009 | le GREID Lettres

Les Liaisons dangereuses,
un roman de Laclos (1782), un film de Frears (1988) : introduire les axes d’étude des deux œuvres.

par Anne Cassou-Noguès
 

Jean-Honoré Fragonard, Le Verrou, 1775-1777, Huile sur toile, 0.73x0.93 cm, Louvre.

 

Pourquoi construire le cours d’introduction à partir de ce tableau ?

 

-un des symboles d’un siècle qui a « réinventé le plaisir » (Mauzi) : permet d’évoquer le libertinage, mais aussi certains enjeux politiques.

 

-une des sources d’inspiration de Frears :

 

« La peinture du XVIIIè siècle vous a influencé ?

 

SF : Un peintre, oui, Fragonard, mais ni Boucher ni Watteau. Fragonard est plus humain. Un jour, Philippe Rousselot, le directeur de la photo, m’a apporté une reproduction du Verrou de Fragonard, et j’ai sorti de ma poche la même repro. Nous l’avions tous les deux dans la tête comme modèle suprême ».

 

(L’Avant-scène cinéma, janvier 2001, n° 498). 

 

 
 

Jean-Honoré Fragonard naquit à Grasse en 1732. Il vint à Paris durant petite enfance et apprit métier dans les ateliers de Chardin et de Boucher. Peintre prodige, il entra à Académie royale de peinture puis finit sa formation en Italie. Il connut le succès de son vivant en France. Il mourut en 1806.

 

Fragonard, le “ chérubin de l’érotisme ”, aime à peindre scènes grivoises, coquines, libertines, qui donne au spectateur l’impression de regarder par trou de la serrure.

 
 

Le Verrou est une œuvre commandée par le Marquis de Veri, pour être le pendant d’une autre toile, L’Adoration des Bergers, peinte vers 1776. Fragonard accorde une grande importance à cette composition comme en témoignent les très nombreux dessins et esquisses préparatoires.

 

 

 

I. Une toile érotique

 

 I. 1. La mise en scène du libertinage

 

La scène se déroule dans une alcôve, c’est une scène d’intérieur : lit, table sur laquelle trône une pomme, chaise renversée, vêtements et bouquet de fleurs à terre, tabouret, verrou, vase renversé. Un homme : musculeux, dénudé. Une femme décoiffée mais encore vêtue.

 

Essayer de recomposer l’histoire.

 

Le jeune homme a dû entraîner la jeune femme dans sa chambre, s’est déshabillé, l’a entraînée sur lit, le vase est alors tombé, elle a dénoué ses cheveux, mais pas délassé sa robe (opération trop longue !). La femme se sentait encore protégée par la porte verrouillée, mais ici, le dernier obstacle et la dernière résistance tombent : le séducteur va fermer : c’est le moment où tout se joue, où tout bascule.

 

Comment est rendue tension ? Tracer les lignes de force qui animent la toile.

 

Mouvements : bras du jeune homme qui veut fermer et bras jeune femme l’en empêche mollement. La partie droite du tableau concentre l’action (instant du désir), proche d’une danse : mouvement des pieds, les yeux dans les yeux. Moment qui précède le désir, encore parade amoureuse avant de céder au lit.

 

Tension dans la posture des corps : corps de l’homme étiré vers verrou ; corps de la femme vers verrou mais visage détourné. Entre retenue et extension : indécision.

 

Diagonale ascensionnelle et lumineuse qui passe par sexe féminin. Pointe aussi le lit avec pied de la femme.

 

Couleurs ?

 

Couleurs chaudes et foncées. Gamme chromatique limitée : noir, rouge/ vermillon, blanc, jaune, vert. Couleur de la passion sensuelle. Jaune est couleur de Fragonard : celle des cocus aussi. La femme commettrait-elle un acte interdit ?

 

Comparer avec un tableau de Watteau.

 

Brutalité, force érotique qui n’existait pas chez Watteau (Les Deux cousines, 1716). Watteau privilégie le langage tandis que l’amour chez Fragonard est l’affaire des corps. Avec Fragonard, nous sommes passés de l’autre côté de la porte de Marivaux : on ne badine plus. Amour comme affaire d’épiderme : volupté possède le spectateur.

 

Comment expliquer cette évolution dans la représentation amour ?

 

INTRODUCTION D’UN AXE DE LECTURE IMPORTANT : le libertinage au XVIIIe siècle.

 

Lecture de la lettre 125.

 

 I. 2. La tentation du voyeurisme

 

Où se déroule scène ?

 

Lieu intime. Le spectateur outrepasse l’interdiction du verrou, il est dans la chambre. Il reste toutefois au seuil de l’acte interdit car Fragonard représente scène avant étreinte.

 

Point de fuite du tableau ?

 

Ligne verticale ascendante. Le point de fuite est le verrou : c’est autour de lui que s’organise la narration.

 

L’interdit et le secret sont soulignés dans toile. Plaisir de la transgression.

 

 

 

INTRODUCTION D’UNE PISTE POUR ÉTUDIER LE FILM. 

 

Repris à de nombreuses reprises dans le film :

 

-effet de surcadrages : Tourvel dans sa chambre (00/ 22/ 57), Valmont regarde par le trou de la serrure, regard encore confronté au paravent. Merteuil rejoint son jeune amant (00/ 12/10) : porte ouverte, reflet dans la glace.

 

-dramatisation des franchissements de porte : Valmont franchit la porte de Cécile (00/46), de Tourvel (1 heure).

 

 

 

Bilan I : le tableau conte sans détour une histoire d’amour charnel, transgressif et interdit. En ce sens, il est représentatif d’un siècle libertin.

 

 

 

II. Une œuvre morale ?

 

On peut toutefois proposer d’autres lectures du tableau.

 
 

 II. 1. Lecture morale

 

Revenir sur objets.

 

Pomme, fleurs à terre, vase renversé. Il faut savoir que dans les esquisses, les objets étaient bien plus nombreux. Fragonard a donc épuré sa composition. Les objets doivent donc être signifiants.

 

Pomme : fruit défendu.

 

Vase renversé : dans la poésie érotique : cruche ou vase comme symbole sexe féminin.

 

Fleurs : "protéger sa fleur" ou "sa rose" : protéger sa virginité.

 

Verrou : image de la vertu mais va sauter. Faire sauter le verrou : image du viol. Cf. Lettre 96 : scène du viol (00 : 46). Image de la clef préparée depuis longtemps : dans le roman, par l’inquiétude de Danceny, lettre 93 ; dans le film, par la mise en scène comique du vol de la clef (00 : 41).

 

Reprendre ligne oblique. Que relie-t-elle ? 

 

Le verrou et la pomme : deux symboles de l’interdit.

 

Comment interpréter attitude femme ?

 

Visage incertain : horreur ? affolement ? culpabilité ? Lecture morale et moralisante. Œil du peintre qui condamnerait un acte illicite et adultère.

 

Penser à contexte de création.

 

Pendant de L’Adoration des Bergers. Fragonard oppose l’amour divin et l’amour humain, l’amour de l’enfant et l’amour charnel. Opposition entre amour sacré, pur, et amour charnel, profane.

 

 

 

 II. 2. Un amour légitime ?

 

Bouquet tombé, une fleur (rose) sur lit aussi.

 

Quelle est signification de ces fleurs ?

 

Cette scène pourrait ne pas être du tout une scène libertine ! Ne pourrait-il pas s’agir d’un bouquet de mariée ? La scène évoque d’ailleurs l’enfermement, une certaine conception du mariage…Si Fragonard peint un mariage qui va être consommé, la scène perd toute dimension subversive.

 

 

 

INTRODUCTION D’UN DEUXIÈME AXE DE LECTURE : la question morale.

 

Ce peut-être l’occasion de s’interroger sur la dimension morale du roman/du film. Un peu tôt en introduction mais poser quelques pistes : la préface du rédacteur (p. 29-30) ? dénouement ?

 

Quelques citations pour éclairer le débat :

 

-sur le roman : « Nous ne savons pas quelle est la vérité, nous ne connaissons que les apparences ; et nous ne savons pas quelle est la position de l’auteur : le niveau appréciatif est dissimulé » (Todorov).

 

-sur le film : « Moi, j’aime bien Valmont, même si c’est une crapule. Ce n’est pas par méchanceté qu’il séduit les femmes, mais par nécessité professionnelle. Il a une réputation à défendre, il n’a du reste rien d’autre à faire.

 

Quant à la Marquise, si c’est une mauvaise femme, c’est qu’elle a souvent été déçue par les hommes, qu’elle a une revanche à prendre » (Frears).

 

 

 

III. Une œuvre vespérale

 
 

 III. 1. Une lecture révolutionnaire ?

 

Comparer physionomie des personnages.

 

Femme délicate, richement vêtuee // corps plus grossier, musculeux et frustre, de l’homme. On peut formuler l’hypothèse qu’ils n’appartiennent pas à la même classe sociale : il appartient à la bourgeoisie, elle, à l’aristocratie.

 

Repenser aussi date de réalisation œuvre : 1776-1777.

 

Avant la Révolution Française.

 

Proposer lecture politique de la toile.

 

La bourgeoisie s’empare de l’aristocratie. Allégorie du régime qui va bientôt basculer. Noter le cou très dégagé de la femme, prête à être guillotinée ( ?). Le jeune homme fait vaciller moeurs de la noblesse en agissant, âme indépendante. L’acte du Verrou, c’est l’épanouissement de cette liberté, asservissement brutal d’un désir qui a la saveur d’une morale en faillite.

 

Regarder couleurs.

 

Chaudes, crépusculaires et vespérales. Automne. Soleil se couche : fin de l’ancien Régime.

 

 

 

INTRODUCTION D’UN NOUVEL AXE DE LECTURE : la dimension historique du roman.

 

Le libertinage peut avoir une dimension politique : il s’associe à une société en décadence.

 

Le libertinage serait le produit de l’idéologie d’une noblesse menacée de ruine (écrasement par le pouvoir depuis la Fronde). La libido dominandi (désir physique de domination sur l’individu) donne au libertin une illusion d’autorité, ses conquêtes galantes compensant sa puissance politique et sociale disparue. Héroïsme de substitution (« Soyez tranquille, je ne reparaîtrai dans le monde que plus célèbre que jamais, et tjs plus digne de vous », lettre 115, p. 334. Dans la même lettre : « Si pourtant on aime mieux le genre héroïque, je montrerai la Présidente, …. ». Lettre 125 : « Ce n’est pas, comme dans mes autres aventures, une simple capitulation plus ou moins avantageuse, et dont il est plus facile de profiter que de s’enorgueillir ; c’est une victoire complète, achetée par une campagne pénible, et décidée par de savantes manoeuvres », p. 358. La Marquise, lettre 81, p. 230 : « Il faut vaincre ou périr »). Démobilisé par l’absolutisme royal, le pouvoir d’antan n’existe plus que comme un simulacre mondain, où le rituel imposé n’est plus que la parodie des valeurs ancestrales. Revanche à la fois anti-absolutiste et anti-bourgeoise. Occasion de développer le culte de soi dans une société caractérisée par la perfection de sa sociabilité. La mode permet d’afficher une appartenance de classe (talons rouges lancés en 1662 par Monsieur, frère de Louis XIV).

 

Fins imaginées par Christopher Hampton et S. Frears : « La pièce se conclut sur elle [Merteuil] qui dit que tous ces événements sont terribles mais que le siècle se termine et qu’une nouvelle ère s’ouvre ». « On a même filmé une scène où Madame de Merteuil se fait guillotiner » (CH dans Avant-scène cinéma).

 

 

 

 III. 2. Vers une esthétique nouvelle

 

Dimension crépusculaire apparaît aussi dans la valeur esthétique de transition dont le tableau est porteur. Vers le néo-classicisme.

 

Tracer lignes de force. Comparer avec Watteau.

 

Lignes droites : verticales et horizontales. Changement d’esthétique et déclin de l’esthétique rocaille.

 

Œuvre réalisée ds 1780’s : revirement vers esthétique néo-classique. David va s’imposer.

 

Montrer Marat assassiné.

 

En 1780 : regain intérêt pour la tendance classique : David devient à la mode et Fragonard est obligé de s’adapter.  

 

Étudier l’occupation de l’espace.

 

Fragonard vide l’espace des détails anecdotiques pour leur substituer des indices allégoriques : il assigne un rôle à chaque accessoire et ne cherche pas seulement à faire illusion. "séduire à l’aide d’objets chargés d’amorces". Objets signifient.

 

Revenir sur le traitement des corps.

 

Une des rares toiles où le corps masculin est mis en avant.

 

Fragonard célèbre force de l’athlète force, mâle, muscles. Eloge santé, vie, appétit charnel.

 

 

 

Conclusion

 
 

1/ "Le siècle de Louis XV a réinventé le plaisir" (Mauzi). 

 

2/ lecture incertaine : moraliser ou peindre son temps sans juger ?

 

3/ œuvre vespérale : fin d’une société, fin d’une peinture.

 

 

 

 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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