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Veux-tu être mon "Bel-Ami" ?

08 / 10 / 2011 | F. Cahen

par Françoise Cahen, professeur au lycée Maximilien Perret, Alfortville

 
 
Un jeu de rôle sur Facebook, dans le cadre de l’étude de Bel-Ami de Maupassant pour démontrer qu’un roman est un réseau social.
 
Niveau(x) : seconde
 
Durée : 3 heures
 
Objectifs :
1. Dans le cadre de l’objet d’étude « Le roman et la nouvelle au XIXème siècle : réalisme et naturalisme », l’étude du roman Bel-Ami
 - approfondir l’étude des liens entre les personnages du roman de Maupassant
 - Démontrer que le héros mobilise tout un réseau social (au sens du XIXème siècle) pour réussir 
2. Dans le cadre des pratiques d’écriture et de lecture propres à la classe de seconde
 - Pratiquer une écriture d’invention ludique et innovante qui mobilise et stimule les élèves
  - Favoriser l’identification des élèves avec les personnages
  - Préparer un plan de dissertation
3. Dans le cadre de l’éducation aux médias
  - Sensibiliser les élèves aux dangers potentiels des réseaux sociaux et aux moyens de protéger ses données personnelles.
 
Contexte : Activité intégrée au début et à la fin d’une séquence classique dédiée à l’étude du roman Bel-Ami de Maupassant en œuvre complète et à la découverte du naturalisme.
 
 
Supports : le roman Bel-Ami
 
Outils TICE : Facebook, un logiciel de carte heuristique (Freemind)
 
Démarches et activités :
-Première heure : réalisation du profil des personnages au début du roman.
-Deuxième heure, en fin de séquence : après la lecture de tout le roman, les élèves complètent les profils des personnages en les faisant évoluer.
-Troisième heure : recherche d’un plan de dissertation : « Pourquoi peut-on dire que Bel-Ami forme un réseau social ? »
 
Apport spécifique des TICE :
- Support de créativité littéraire et forte stimulation des élèves
- Interactivité de toute la classe 
- Démonstration par la pratique que le roman est finalement une connexion d’un groupe de personnages entre eux.
 

 

Présentation de l'activité

Contexte

Les élèves répondent à des questionnaires de lecture traditionnels, nous préparons des études de textes, des plans de dissertation sur le roman en classe. Les élèves ont également réalisé par groupes des diaporamas sur des thèmes variés autour de la vie de Maupassant. Une heure en début et deux autres en fin de séquence sont consacrées à cette activité particulière utilisant Facebook.
 

Déroulement de l'activité

-Première heure : distribution aux élèves, qui ont lu le début du roman, de comptes Facebook créés par le professeur au nom de tous les personnages principaux du roman. Distribution d’une feuille de consignes qui précise les objectifs de l’activité. Les élèves réalisent les profils de leurs personnages. Ils peuvent ensuite transposer sur Facebook le début du roman en envoyant des messages aux autres personnages. Une invitation à un événement est lancée (c’est une application particulière de Facebook) : le repas chez Charles Forestier.
-Deuxième heure, en fin de séquence : les élèves ont lu tout le roman, et ils doivent compléter le profil final de leur personnage sur Facebook, écrire d’autres messages aux autres membres du réseau de Bel-Ami qui reflètent leur évolution jusqu’à la fin du roman.
-Troisième heure : réflexion de la classe sur l’importance du réseau social dans le roman sous la forme de la recherche d’un plan de dissertation.
 

Intérêt spécifique des TICE

  • Emerveillement des élèves ébahis de pouvoir associer au domaine scolaire cet espace de liberté familier qu’est Facebook
  • Support de créativité littéraire : les élèves se livrent à une lecture particulière du roman, délivrée de son aspect strictement scolaire
  • Interactivité de toute la classe : les personnages sont connectés les uns aux autres, ils partagent donc leurs informations, s’envoient des messages… Un propos non pertinent sera signalé par les autres : les élèves se corrigent entre eux.
  • Démonstration par la pratique que le roman est finalement une connexion d’un groupe de personnages entre eux. L’activité TICE débouche sur une réflexion littéraire élargie à l’analyse de la nature même du roman.

Commentaires

Généalogie du projet

En voyant les lycéens écrire si volontiers sur le réseau social Facebook, et avec tant de réticence sur leurs copies, l’idée de se servir de ce réseau social comme d’un support à un exercice scolaire d’analyse littéraire m’a semblé assez naturelle. J’avais déjà travaillé sur ce support à deux reprises, dans le cadre de créations d’applications interactives par les élèves : un test de personnalité sur les personnages de Bel-Ami l’année dernière avec des secondes également, et un « distributeur automatique » de citations en terminale dans le cadre de la révision des œuvres au programme. Ces deux initiatives m’avaient vraiment semblé pédagogiquement pertinentes et plutôt réussies.
Bien sûr, je n’ignore rien de la méfiance dont tout bon professeur doit faire preuve à l’égard de ce site controversé, et si je me suis lancée dans la fabrication de comptes Facebook à l’usage de personnages de fiction, en détournant l’usage « normal » de ce réseau social, c’est en prenant modèle sur les pages réalisées dans les universités anglo-saxonnes par les élèves sur des personnages historiques, depuis des années. Pourquoi ne pas faire la même chose pour un roman ? Et au moment même où je décide de mener à bien ce projet, je découvre que J.M Le Baut, initiateur du célèbre projet « i-voix », s’est lancé dans la même aventure autour de Lorenzaccio. Ce fut pour moi un encouragement.
Ma démarche s’inscrit donc dans une logique d’exploration progressive, éclairée et prudente des possibilités pédagogiques de Facebook.
 
 

Déroulement des séances de travail

Quand j’apporte aux élèves des petites fiches cartonnées sur lesquelles figure le compte Facebook des personnages de Bel-Ami, c’est la stupeur et l’émerveillement. « Quoi ? Madame ? Vous avez fait ça ? » Il faut dire que dans notre lycée, comme dans beaucoup d’autres établissements scolaires, le site Facebook est interdit d’accès sur les ordinateurs du réseau scolaire, parce que sa consultation perturbe les cours. J’ai demandé une autorisation spéciale, justifiée pédagogiquement, pour que, sur une courte période, ma classe de seconde, en cours de français, puisse le consulter. (Autrement, le responsable du réseau redirige malicieusement tous ceux qui veulent y accéder sur le site de l’ONISEP.)
Je leur distribue également une feuille précisant les objectifs de la séance. (Voir pièce jointe à la fin de l'article) Les différents groupes de travail sont plus ou moins importants selon la place que prend le personnage dans le roman. (Un seul élève travaille sur Norbert de Varenne, un groupe de quatre élèves se consacre à Georges Duroy, par exemple).
Je remarque que les élèves ont tendance à se corriger rapidement les uns les autres, quand ils connectent leurs personnages ensemble : certains groupes repèrent des erreurs faites par d’autres et leur signalent. Un élève plus dissipé que les autres tente à un moment d’écrire des plaisanteries douteuses : il est visible de tous les postes de travail, puisque tous les personnages du roman sont « amis » et que leurs propos s’inscrivent sur l’écran des autres, je le repère aussitôt et il doit retirer immédiatement les lignes en question. J’en tiendrai compte également dans l’évaluation finale de leur travail.
Je profite de cette séance pour parler avec les élèves des paramètres de confidentialité des comptes Facebook : tous ne savent pas s’en servir, alors que tous disposent de comptes personnels sur ce réseau. Notre expérience démontre aussi que toutes les identités apparentes sur le réseau social ne correspondent pas forcément à des individus réels : les élèves conviennent volontiers que la méfiance est de mise.
J’ai choisi de consacrer deux séances seulement à cette activité, parce que je souhaite conserver du temps pour des cours plus traditionnels, et parce qu’il me semble que trop étendue, elle en perdrait son intensité, et les élèves risqueraient de s’égarer sur le réseau. Je ne veux pas non plus les exposer à la publicité présente sur le site trop longtemps dans un contexte scolaire. Pour l’instant, c’est donc une activité que je souhaite ponctuelle et circonscrite. On ne doit pas pouvoir dire ensuite qu’en cours de français, « on passe tout son temps sur Facebook ».
 
La deuxième séance, très attendue, arrive donc au terme de leur lecture du roman : les élèves peuvent compléter le profil de leur personnage en fonction des événements ultérieurs du roman. Le statut sentimental de Georges Duroy change beaucoup au cours de la séance, au fil de son inconstance amoureuse.
Certains élèves donnent à leur personnage un profil assez lisse, très proche du livre, tandis que d’autres sont plus inventifs, et jouent jusqu’au bout le jeu de l’anachronisme suggéré par l’activité : ainsi Suzanne Walter a des passions communes à celles de toutes les adolescentes sentimentales et naïves de notre époque… J’ai accepté cette transposition contemporaine des passions des personnages, dans la mesure où notre démarche, en projetant le réseau social du XIXe siècle dans son acception contemporaine, induisait bien un anachronisme.
Une image du profil de Suzanne
 
On remarque que les élèves se concentrent très volontiers sur ce travail, ils cherchent à améliorer les profils des personnages fabriqués lors de la séance précédente : le fait d’être lus par les autres motive chacun. La classe, souvent bruyante et difficile à captiver d’habitude, se laisse absorber complètement par ce travail.
 
Enfin, au cours d’une troisième séance, nous exploitons cette démarche pratique avec un entraînement à la dissertation, privilégiant la recherche d’un plan sous la forme d’une carte heuristique vidéo-projetée. Le sujet que je propose à la classe est celui-ci : « Pourquoi peut-on dire que Bel-Ami forme un réseau social ? » Les élèves proposent des arguments au fil de l’heure et nous complétons la carte au fur et à mesure en exploitant les exemples concrets qu’ils sont utilisés sur Facebook. L’ensemble est assez satisfaisant et nous amène à réfléchir sur la nature même d’un roman : ne forme-t-il pas forcément un réseau social, dans la mesure où il relate le plus souvent l’interaction entre un groupe de personnages ?
Cliquer sur l'image pour voir toute la carte
Carte heuristique de travail
 
Nous prenons soin, cependant, de différencier plusieurs acceptions de l’expression « réseau social » : d’une part, il s’agit de relations qui permettent d’espérer une progression au sein de la société, le plus souvent en termes professionnels. L’équivalent réel, contemporain de ce type de réseau sur internet serait peut-être « Viadeo »

Bilan de l’activité

Je n’ai pu que constater un grand enthousiasme de la part des élèves. J’avais quelques appréhensions concernant leur sérieux pendant la séance : à part un cas assez vite repéré et corrigé, je n’ai pas eu à me plaindre d’écarts ni de vulgarités. Les élèves ont conscience qu’en créant le réseau du roman, c’est en quelque sorte une œuvre commune qu’ils réalisent : les dérèglements des uns nuiront à l’ensemble de la classe et cette mise en réseau du roman qui est aussi celle de leur travail a plutôt tendance à les responsabiliser.
Cette activité plaisante aurait pu être étendue sur une plus longue durée : il est certain qu’à cette condition, nous serions parvenus à des profils de personnages plus complets, au fil de la lecture du roman. Mais la classe, qui n’était pas une classe modèle, aurait pu se disperser, et le travail y aurait perdu en efficacité.
Le fait d’avoir également un objectif pédagogique précis (démontrer que ce roman formait un réseau social) évitait à la démarche de paraître un gadget superficiel.

Je regrette cependant les inégalités de traitements faites aux différents personnages : tandis que certains bénéficiaient de profils très complets, d’autres n’ont été présentés que de façon très superficielle. Mais ces inégalités reflètent bien sûr celles des élèves au sein de la classe. Même si certains ont essayé de donner quelques idées à ceux qui restaient moins inspirés, tous ne se sont pas montrés à la hauteur de mes espérances… Il en est pour les projets TICE comme pour tous les autres projets pédagogiques : le projet-miracle n’existe pas, il faut aussi accepter que s’y expriment les imperfections des élèves. Les voir cependant écrire et échanger avec autant de plaisir à propos d’un roman du XIXème est déjà une belle récompense qui, à elle seule, a justifié, de mon point de vue, toute cette démarche.

Quand Georges Duroy discute avec ses amis sur Facebook

 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer