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De la lettre authentique à la lettre fictive

20 / 06 / 2007 | le GREID Lettres

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Séance 1 - Madame de Sévigné, Lettres, Lettre à sa fille, Madame de Grignan, 5 octobre 1670

 

A Montélimar, jeudi 5 octobre 1673

Voici un terrible jour, ma chère fille ; je vous avoue que je n’en puis plus. je vous ai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faites et à tous ceux que je fais, et combien il s’en faut qu’en marchant toujours de cette sorte, nous puissions jamais nous rencontrer. Mon cœur est en repos quand il est auprès de vous : c’est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire. Ce qui s’est passé ce matin me donne une douleur sensible, et me fait un déchirement dont votre philosophie sait les raisons : je les ai senties et les sentirai longtemps. J’ai le cœur et l’imagination tout remplis de vous ; je n’y puis penser sans pleurer et j’y pense toujours : de sorte que l’état où je suis n’est pas une chose soutenable ; comme il est extrême, j’espère qu’il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours et je trouve que tout me manque, parce que vous me manquez. Mes yeux qui vous ont tant rencontrée depuis quatorze mois ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passé rend celui-ci douloureux, jusqu’à ce que j’y sois un peu accoutumée ; mais ce ne sera jamais assez pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser. Je ne dois pas espérer mieux de l’avenir que du passé. Je sais que votre absence m’a fait souffrir ; je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai point assez embrassée en partant : qu’avais-je à ménager ? Je ne vous ai point assez dit combien je suis contente de votre tendresse : je vous ai point assez recommandée à M. de Grignan ; je ne l’ai point assez remercié de toutes ses politesses et de toute l’amitié qu’il a pour moi ; j’en attendrai les effets sur tous les chapitres : il y en a où il a plus d’intérêt que moi, quoique j’en sois plus touchée que lui. Je suis déjà dévorée de curiosité ; je n’espère plus de consolation que de vos lettres, qui me feront encore bien soupirer. En un mot, ma fille, je ne vis que pour vous. Dieu me fasse la grâce de l’aimer quelque jour comme je vous aime. Je songe aux pichons [1] ; je suis toute pétrie de Grignan ; je tiens partout [2]. jamais un voyage n’a été aussi triste que le nôtre ; nous [3] ne disons pas un mot.

Adieu, ma chère enfant, aimez-moi toujours : hélas ! nous revoilà dans les lettres. Assurez Monsieur l’Archevêque de mon respect, et embrassez le Coadjuteur [4] ; je vous recommande à lui. Nous avons encore dîné à vos dépens. Voilà Monsieur de Saint-Geniez qui vient me consoler. Ma fille plaignez-moi de vous avoir quittée.

1. en provençal, les petits enfants ;
2. comme la pâte " pétrie " dont les éléments sont bien amalgamés.
3 . Madame de Sévigné voyage en compagnie de deux abbés.
4. Frère du Comte de Grignan.

 

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