Faire renaître Catherine Bernard en rééditant Riquet à la Houppe avec ses élèves
Niveau(x) : Ce travail avait été mené en seconde dans le cadre des anciens programmes, mais on pourrait le concevoir comme un écrit d’appropriation autour du parcours « Imagination et pensée au XVIIe siècle » en première.
Durée : 2 ou 3 heures
Objectifs :
- Sauver de l’oubli une autrice injustement méconnue du XVIIe siècle : Catherine Bernard, qui a écrit Riquet à la Houppe un an avant Perrault
- Écriture d’appropriation collective par le travail d’édition
- Travailler sur la langue du XVIIe siècle pour en proposer une transposition actualisée
- Comparer le conte de Catherine Bernard et celui de Perrault
- Approfondir une réflexion sur les faux-semblants dans le cadre d’un projet annuel
Contexte :
- Les élèves réfléchissent depuis le début de l’année au thème des apparences trompeuses et la lecture de cette œuvre permettait d’approfondir la question. Nous avons pu aborder différentes formes de textes argumentatifs dont le conte.
Supports :
- Le texte original de Riquet à la Houppe en ligne sur Google Books ; il se trouve inséré dans un roman, Anaïs de Cordoue, à partir de la page 39 : https://books.google.fr/books?id=Rvg5AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
(NB : je préfère d’habitude travailler sur Gallica, mais ce texte ne s’y trouve pas.)
- Le conte de Perrault, en comparaison : https://www.dinosoria.com/perrault_05.htm
Outils numériques :
- Lino pour les instructions
- Padlet pour le dépôt des brouillons
- ScribaEpub pour l’édition
Démarches et activités :
- Lecture progressive à voix haute du conte pour tous une semaine avant
- Une heure pour la transposition du texte en français contemporain
- Une heure pour créer un paratexte, des quiz, trouver des images, de la musique etc… autour du texte
- Une heure de correction après révision du professeur
- Une heure pour comparer les deux contes
Apport spécifique du numérique :
- L’accès à un texte non édité permet de transformer les élèves en apprentis chercheurs
- La démarche collaborative permet d’éditer un conte en entier
Détail de la séquence :
- L’idée est d’abord de lancer le projet en proposant à la classe de ressusciter une autrice oubliée de l’histoire littéraire : Catherine Bernard a écrit Riquet à la Houppe un an avant Perrault, et pourtant nous ne connaissons que l’histoire de Perrault ! « Ce n’est pas juste ! » s’exclament les élèves. Ils semblent enchantés de leur mission, il ne s’agit pas pour eux d’un exercice superficiel mais bien d’un défi qui a son importance, puisque leur travail de recherche inédit (ou presque) pourra être partagé par le biais de Twitter. Il existe aussi le concours #JeLaLis, organisé par l’association Le deuxième Texte, qui récompense les projets qui mettent en valeur des autrices oubliées. Cette ambition permet de susciter l’intérêt de chacun : les élèves sont presque persuadés qu’ils peuvent changer le cours de l’histoire littéraire.
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Il est important que les élèves puissent connaître l’ensemble du texte avant de travailler sur des fragments de celui-ci, sans quoi leur perception de l’œuvre risque d’être trop morcelée, c’est pourquoi j’ai choisi de lire à la classe, en plusieurs fois, le conte, durant les cours de la semaine précédente, sous la forme de quarts d’heure de lecture à voix haute. La forme du conte s’y prête bien. À chaque fois, les élèves donnent spontanément leurs impressions de lecture.
- Lors d’une séance de deux heures, les élèves, en salle informatique, trouvent sur une page Linoit toutes les instructions pour leur travail : http://linoit.com/users/fcahen/canvases/riquet
- Les directives pour la séance sont les suivantes :
- NOTRE OBJECTIF : Ressusciter CATHERINE BERNARD en créant notre version de Riquet à la Houppe en modernisant son orthographe Nous allons essayer de sensibiliser l’opinion publique à cet oubli injuste !
- SE METTRE PAR GROUPE DE 2 OU 3 ÉLÈVES : trois courtes pages du conte vous sont distribuées (Je les ai photocopiées.)
- Retrouver les pages qui vous ont été distribuées dans le Google book en lien (étiquette rose). Une fois sur le livre « Ines de Cordoue », récupérez le texte de vos pages en appuyant sur la petite roue en haut à droite, puis « texte brut ». Vous pourrez récupérer le texte en bas de vos pages à copier-coller, ce qui vous évitera de tout retaper.
Vous remarquez que les F sont en fait des S, les terminaisons en oit sont des ait, etc… Le jeu pour vous est de parvenir à un texte en français moderne sans faute sur un fichier WORD que vous collerez sur notre Padlet.
Ensuite :
1. Définissez les mots compliqués.
2. Résumez votre passage (vous vous adressez à des enfants).
3. Inventez une question de lecture et répondez-y.
4. Proposez une illustration disponible sur https://pixabay.com/fr/ (libre de droits) ou dessinée par vous –même (note bonus dans ce cas)
5. Associez une musique à votre texte sur https://www.auboutdufil.com/
6. Créez un mini-test de lecture sur https://quizbean.com/#/new-quiz
Les élèves ont la sensation assez agréable d’être de vrais archéologues, alors que la langue du XVIIe siècle est tout de même très lisible et que l’accès au texte reste facile. Le fait de pouvoir librement associer des images et des musiques au texte est une chose qui leur plaît, et que nous avons déjà expérimentée dans l’année : c’est un travail d’appropriation personnel qui permet à la classe de se rapprocher du texte.
La professeure corrige les travaux déposés sur Padlet, qui sert de brouillon intermédiaire, et les élèves les améliorent ou les finissent avant leur publication sur la plateforme : il est en effet assez important de ne pas considérer le travail achevé en une seule fois, car la tâche d’éditeur est faite de précision. Il reste encore beaucoup d’imperfections, d’erreurs après la première séance, et on peut demander la semaine suivante aux élèves qui ont le plus de facilités d’aller aider les groupes qui sont les plus lents. Je pense que la professeure ne doit pas céder à la facilité en corrigeant elle-même toutes les erreurs.
La dernière étape consiste à proposer aux élèves de comparer la version de Riquet à la Houppe écrite par Catherine Bernard à celle qui a été écrite par Perrault. Nous mettons en ligne le travail le plus abouti, après en avoir discuté en classe. Plusieurs observations sont très intéressantes : alors que dans le conte de Perrault, c’est Riquet le héros, qui apparaît d’ailleurs en premier, c’est Mama, le personnage féminin, qui domine incontestablement dans le conte de Catherine Bernard. Alors que la morale de Perrault encourage les femmes belles et stupides à épouser les hommes laids et intelligents, le conte de Catherine Bernard présente une vision très noire du mariage, parce qu’il se finit très mal. Les élèves constatent donc que l’histoire littéraire a retenu une version du conte qui n’est pas sans incidence sur l’image des femmes et du mariage.
Ceux qui sont les plus rapides rédigent une biographie de Catherine Bernard qui servira d’introduction au livre édité par la classe, et une élève propose une couverture qu’elle a elle-même dessinée.
Finalement, le travail collectif, rassemblé sur le Padlet de préparation est édité sur la plateforme ScribaEpub, qui permet l’édition gratuite et facile de livres numériques en format EPub, facile à consulter sur son téléphone. http://www.scribaepub.it/play.html?ebook=17426
Les élèves prennent ensuite un temps pour aller voir les réalisations des autres élèves et faire les quiz proposés. Nous partageons le livre sur les réseaux sociaux pour mieux faire connaître Catherine Bernard et son Riquet à la Houppe.
Ce travail sera ensuite repris en classe dans le cadre d’un entraînement à la dissertation : « Par quels moyens la littérature peut-elle dénoncer les apparences trompeuses ? »
Voilà comment nous pouvons réfléchir également avec les élèves à la fabrication de l’histoire littéraire, sans passer à côté des incontournables, puisque le fait d’étudier un texte de Catherine Bernard nous a permis aussi de relire Perrault. Nous avions déjà expérimenté cette façon de travailler sur un texte non publié dans la perspective de réveiller la mémoire d’une autrice en reprenant la préface des Voyages de Milord Céton dans les sept planètes, de Marie-Anne Robert, au XVIIIe siècle, qui a contribué à inventer le genre de la science-fiction. http://www.scribaepub.it/play.html?ebook=14845 Ce texte existait dans Gallica, qui propose de nombreux livres historiques inédits à redécouvrir avec nos classes. Vivre ces petits projets éditoriaux avec les élèves crée un rapport différent au texte : c’est bien notre lecture vivante – et parfois maladroite, puisque nous ne sommes pas des savants- qui réactive le livre archivé en ligne, oublié depuis des siècles, et rendu accessible par la magie d’Internet. Mais cette histoire n’est pas celle de Riquet à la Houppe, c’est celle de la Belle au Bois dormant !