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Débattre à la radio : une pratique de la dissertation en classe de 1re

07 / 06 / 2022 | le GREID Lettres

par Joachim Arthuys, Lycée Léonard de Vinci, Tremblay-en-France

 

1. Contexte

Le projet est mené avec une classe de 1re générale. Comme chaque année, quand il s’agit d’aborder la méthode de la dissertation, deux obstacles apparaissent. Le premier est lié à la méthodologie de la dissertation, moins familière, souvent, que l’analyse ; le second est lié à la difficulté à développer une « réflexion personnelle » sur une œuvre littéraire. Face au texte posé arbitrairement, de leur point de vue, comme un objet d’étude, et sans bien maîtriser les compétences qui leur permettraient de l’appréhender, beaucoup d’élèves ne se sentent ni la possibilité, ni le droit, parfois, de développer une sur l’œuvre en question. Or, son appropriation est un enjeu majeur : elle est au cœur du plaisir de la lecture et de la construction de soi, comme le montre Bénédicte Shawky-Milcent dans La Lecture, ça ne sert à rien : usages de la lecture au lycée et partout ailleurs ; elle est également au cœur des exercices de l’EAF, et une condition de leur réussite. En effet, la dissertation est définie comme « une réflexion personnelle organisée sur une question littéraire » (Bulletin officiel spécial n°7 du 30 juillet 2020) ; à l’oral, et particulièrement durant l’entretien, il est attendu du candidat « une implication personnelle dans sa manière de rendre compte et de faire partager une réflexion sur ses expériences de lecture » (Bulletin officiel du 30 juillet 2020). Il s’agit donc de résoudre deux difficultés qui souvent se recoupent, l’œuvre littéraire s’éloignant d’autant plus des élèves qu’elle est abordée à travers un exercice qui peut les tenir en échec, en proposant un projet qui puisse les réconcilier avec l’exercice tout en leur permettant de s’approprier personnellement les œuvres au programme.

2. Les difficultés méthodologiques liées à la dissertation.

La première difficulté tient à la méthode de la dissertation sur œuvre, qui peut avoir pour effet de dévitaliser la réflexion. Les élèves apprécient particulièrement les discussions libres sur les œuvres — dans des cercles de lecture ou lors de débats par exemple — mais l’exercice de la dissertation écrite vient généralement entraver la réflexion. Ce n’est pas seulement que les élèves peinent à couler leur pensée dans le moule d’un exercice qui peut leur paraître trop rigide, c’est aussi qu’ils ont parfois l’impression que l’exercice est une fin en soi : il ne s’agit plus de réfléchir personnellement à un aspect de l’œuvre au programme, mais de « faire » une dissertation. Pourtant, celle-ci est assez simplement définie au bulletin officiel comme « une réflexion personnelle organisée », et l’on n’attendra pas nécessairement des élèves qu’ils respectent toutes les normes et conventions auxquelles nous sommes habituées en tant que spécialistes : si elle doit être « organisée », la réflexion n’implique pas pour autant une structure académique rigide. Pourtant, le passage de la « réflexion personnelle », conçue par les élèves comme une « réflexion libre » à une forme « organisée » reste problématique. L’objectif est donc de se réapproprier la forme de la dissertation « académique » par le détour d’une forme originale à la faveur de laquelle l’appropriation de l’œuvre peut se réaliser.

3. Le débat radio pour s’approprier l’œuvre littéraire

Si la préparation à l’EAF reste l’objectif sous-jacent à la fabrication de l’émission, cet objectif n’est pas rappelé aux élèves durant son élaboration, si ce n’est à la fin pour établir le retour à la dissertation telle qu’elle est attendue à l’EAF. L’objectif principal est l’appropriation personnelle de l’œuvre qui seule peut permettre aux élèves de développer une « réflexion personnelle » se fondant sur leur expérience en tant que « lecteurs empiriques »2. Finalement, « il s’agit de prendre davantage en compte la dimension subjective de la lecture et les réalisations effectives des sujets lecteurs […]. L’implication du sujet donne sens à la pratique de la littérature puisqu’elle est tout à la fois le signe d’appropriation du texte par le lecteur et la condition nécessaire d’un dialogue avec l’autre, grâce à la diversité des réceptions d’une même œuvre. »3 Le débat radio d’une durée de 10 minutes environ, réalisée en groupe, doit permettre aux élèves de s’impliquer et de dialoguer avec l’autre (le texte, les camarades et soi-même au miroir du texte) en organisant cette « diversité des réceptions ».

4. L’émission radiophonique pour aborder l’exercice de la dissertation

4. 1. Pourquoi passer par la radio ?

Le premier intérêt est « d’ouvrir à la diversité des faire-langagiers, à la diversité des modes de pensée »4 en proposant un exercice privilégiant l’oral et l’interaction permettant à la fois de rendre sensible le caractère dialogique de l’argumentation et de favoriser la coopération entre les élèves à toutes les étapes, de la recherche au brouillon à l’enregistrement en passant par l’écriture du script. Le travail collaboratif permet aux élèves de se confronter ensemble à l’exercice, la pensée de chacun s’enrichissant de la pensée des autres, en neutralisant dans un premier temps la difficulté de se trouver seul face à sa copie, pour mettre au cœur du travail l’appropriation de l’œuvre (à la fois personnelle et collective). L’enregistrement de l’émission présuppose un travail écrit mais celui-ci tend à faire oublier la dimension scolaire de la dissertation et à détourner l’exercice de la situation d’examen de l’EAF : la radio est un moyen de « délocaliser » le travail sur l’œuvre intégrale, aussi bien littéralement (en occupant l’espace du studio radio, ou de tout autre espace d’enregistrement) que métaphoriquement. En effet, la dissertation est travaillée dans l’espace réapproprié d’une émission qui place les élèves dans une situation de « créativité » : ils peuvent inventer une forme propre pour incarner leur réflexion, forme qu’ils sont invités à personnaliser autant qu’ils le souhaitent. Ils peuvent choisir une musique de générique de début et de fin, éventuellement un morceau choisi et pertinent par rapport à l’œuvre comme intermède, inventer un titre pour leur émission, s’autoriser autant de fantaisie qu’ils le souhaitent. Le caractère « amusant » du travail en studio radio n’est pas à négliger : face au micro, casque sur la tête, les élèves s’entendent parfois pour la première fois (sa voix rendue tangible, l’élève pourra devenir « auteur de sa propre parole »6), et si certains appréhendent l’exercice au début, tous finissent par se prendre au jeu.

 

4. 2. Le matériel pour réaliser une émission radio

Le Lycée peut s’équiper d’un studio radio rudimentaire, composé d’une table de mixage à laquelle sont reliés quatre micros. C’est une installation à la fois simple, pratique et peu onéreuse (aux alentours de 800€). Mais il est tout à fait possible d’envisager un enregistrement avec des moyens moins coûteux : les élèves peuvent utiliser leur téléphone portable, souvent équipé d’un micro de bonne qualité ; une autre solution est d’utiliser un dictaphone. Ces deux dernières solutions ont l’avantage de simplifier la phase d’enregistrement, et peuvent servir lors d’ateliers intermédiaires en classe.


4. 3. Déroulement pédagogique

Le déroulement pédagogique suit le modèle de la séquence didactique proposée par Roxane Gagnon et Joaquim Dolz qui se prête particulièrement bien au travail de l’oral en tant que genre : après une mise en situation, les élèves produisent une « production initiale », plusieurs ateliers, menés sur plusieurs semaines, permettent d’améliorer cette production et aboutissent à la « production finale »7.


4. 3. 1. Mise en situation

Dans un premier temps, l’objectif est défini avec les élèves : ils devront réaliser un débat radio à trois ou quatre, d’une durée de 10 minutes environ, portant sur l’œuvre intégrale au programme. Les élèves écoutent ensuite, pour se mettre en situation, un exemple de débat radio : France Info, France Inter et France Culture en proposent sur des sujets très variés. On peut par exemple utiliser « Le Débat éco » sur France Inter, qui permet de bien percevoir l’organisation du débat (le rôle du présentateur, le rôle des débatteurs), son organisation (le lancement, le débat et le pied — la conclusion — dont la structure, que les élèves devront suivre, correspond finalement à celle d’une dissertation) ainsi que les constituants du débat lui-même (thèse, arguments et contre-arguments, exemples). Une grille d’écoute peut être donnée aux élèves pour les guider, avec quelques rubriques à compléter : nombre d’intervenants et rôles respectifs, thèses défendues, arguments et exemples des deux débatteurs. Filmé et accessible en replay, ce podcast permet également de travailler sur la dimension non verbale de l’oral, qui est un aspect important de la réalisation finale : regard, posture, gestes etc.8
Après cette mise en situation, un sujet d’émission est proposé, sous la forme d’une question impliquant un jugement personnel des élèves et qui puisse donner lieu à une réelle discussion. Par exemple, sur La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette (parcours : « Individu, morale et société ») le sujet suivant : « La Princesse de Clèves est-elle un personnage libre de ses choix ? » Les enjeux du sujet sont explicités en classe entière, puis les élèves constituent des petits groupes de trois ou quatre élèves.


4. 3. 2. Ateliers en groupes

Dans un premier temps — environ 20 minutes — chaque groupe propose une « production initiale » : la discussion s’engage entre les élèves sur la question et un premier brouillon de script est ébauché, où les idées directrices, les arguments et exemples sont mis en commun. Cette production initiale servira de base aux « ateliers » qui viseront à l’approfondir : étayages par deux ou trois arguments de la thèse et de l’antithèse (de la synthèse le cas échéant) ; illustration des arguments par des exemples issus de l’œuvre et expliqués.
Ces ateliers sont menés en demi-groupe quand c’est possible pour que pouvoir passer de groupe en groupe, guides certains groupes sur des pistes de réflexion, les aider dans les étayages. Certains groupes demandent une attention particulière, d’autres travaillent de façon plus autonome : ce sont des temps de classe où un travail différencié est possible. Il peut y avoir trois à quatre ateliers, filés sur autant de semaines, afin que les élèves réinvestissent leur lecture, mais aussi les études linéaires et études transversales.
Les élèves sont libres de travailler sur le support de leur choix : sur feuille, grâce à une application de prise de notes sur leur téléphone ou un traitement de texte sur ordinateur. Tous se tournent vers des outils collaboratifs avec lesquels ils ont pris l’habitude de travailler et qui offrent l’avantage à l’enseignant de pouvoir suivre de près le progrès du travail et d’apporter des conseils en commentaire dans la marge : un traitement de texte ou le Pad proposés par l’ENT sont privilégiés car ils respectent le RGPD ; certains travaillent avec Google Docs. C’est sur ce document que les élèves mettront en forme le script de leur émission. Ce script peut être entièrement rédigé ou non, en fonction de l’aisance des élèves à l’oral. La rédaction du script elle-même se fait lors d’un avant-dernier atelier, puis, s’il le faut, en dehors de la classe. Seules deux contraintes sont imposées lors de ce travail de rédaction : ils doivent utiliser des connecteurs (une fiche-outil leur est donnée qui comprend également des formules de relance et expressions récurrentes à la radio) ; le langage doit leur être naturel, pas nécessairement soutenu, mais les familiarités sont proscrites. Pour le reste, les élèves sont libres de s’exprimer comme ils le souhaitent.
Un dernier atelier est consacré au travail de l’oral. Dans la mesure où la « production finale » relève d’un écrit oralisé, il est nécessaire de travailler avec eux quelques aspects de l’oralité : l’intonation, le rythme, le volume et la diction9. Il s’agit de dire le script sans donner l’impression de le lire, afin qu’à l’écoute cela semble naturel. Il est possible, ici, de s’appuyer sur une captation d’émission en la leur faisant écouter sans l’image, puis avec : ils réalisent que ce qui leur semblait improvisé est entièrement écrit. Par petits groupes, les élèves peuvent simuler un enregistrement (comme une saynète), ou bien s’enregistrer avec leur téléphone portable : il est intéressant de travailler sur quelques enregistrements intermédiaires qui peuvent être réécoutés en classe et servir de support pour revenir sur leurs qualités et défauts.


4. 3. 3. De l’écrit à l’oral : l’enregistrement de la « production finale »

Quand le script est fini, les élèves sont amenés à enregistrer leur émission dans le studio. La première fois, cela se fait sur le temps du cours : il faut leur expliquer comment fonctionne le matériel, comment placer les feuilles du script pour les lire sans être gêné, comment « placer » sa voix et bien articuler en faisant quelques exercices de virelangue. Après cette première séance qui se fait sous la supervision de l’enseignant, les élèves pourront aller dans le studio radio enregistrer leur émission seuls et quand ils le souhaitent en dehors des heures de cours.
Une fois les enregistrement recueillis, ils sont déposés dans les documents partagés de l’ENT, ou sur une autre plateforme collaborative.


4. 3. 4. Pistes d’analyse des productions finales

Quelques points de convergence intéressants émergent des scripts et enregistrements des élèves. Le premier, qui découle du format radiophonique, est le lancement : en tant que seuil, ce moment est crucial. Or, il marque souvent l’engagement des élèves dans l’émission mais également dans le travail de réflexion sur l’œuvre. En choisissant par exemple une musique qui sert d’arrière-fond sonore au lancement comme dans une vraie émission radio, en choisissant parfois un titre, puis en présentant les chroniqueurs, les lancements ont fait l’objet d’une attention particulière. Exemplaire, voici le travail extrêmement abouti (une dizaine de pages de script — non corrigé — correspondant à une émission de presque 25 minutes) d’Amel, Chabha, Manel et Sheyma :

Amel : Bonjour à toutes et à tous ! Bienvenue dans « la boîte à lettres » ! Chères auditrices, Chers auditeurs ; Aujourd’hui, que vous soyez sous la couette, en balade ou concentrés sur un exercice de maths : vous écoutez nos chroniqueuses : Chabha, Manel, Sheyma et moi, Amel, votre présentatrice. Chères chroniqueuses, comment allez- vous aujourd’hui ?
Chabha : On peut dire que je suis impatiente !
Manel : plutôt bien, et toute aussi impatiente
Sheyma : On l’est toutes ! Aujourd’hui on s’attaque à un sujet plutôt philosophique d’ailleurs !
Amel : Oui, c’est vrai. Alors, notre sujet d’aujourd’hui est le suivant : La princesse de Clèves est-elle une héroïne libre de ses choix ?
Chabha : Tiens ! une héroïne ? Mais elle ne sauve personne pourtant ?
Amel : Oui, elle ne sauve personne. Mais elle est une héroïne d’un tout autre style, Sheyma, tu peux nous rappeler ce qu’est une héroïne ?
Sheyma : Oui, bien sûr ! Pour chabha et nos auditeurs, une héroine c’est une femme qui se distingue par sa force de caractère, ça grandeur d’ame. Elle est vertueuse !
Amel : C’est tout à fait ça ! mais dans le cas de la princesse de Clèves, c’est cette pression de devoir être vertueuse qui la hante.


Il semble particulièrement intéressant à plusieurs titres : l’adresse aux auditrices et auditeurs traduit le souci de faire oublier (mais pas complètement) le cadre scolaire, et inscrit l’émission dans le temps libre de celles et ceux qui l’écouteront : il s’agit avant tout d’y prendre du plaisir. Ce plaisir se traduit dans les premières interventions, qui conduisent habilement à la formulation du sujet. En pointant la dimension philosophique de celui-ci, le groupe montre qu’il a une portée qui dépasse le roman, qu’il suscite un questionnement existentiel : il ne s’agit plus seulement d’interroger sur l’œuvre à l’aune du sujet, mais de s’interroger sur soi-même à l’aune de l’œuvre. L’analyse du terme « héroïne » conduit habilement au sujet : la question de la vertu que Madame de Chartres lui a inculquée pose le problème de la liberté de la Princesse. Cette réflexion aboutit à une analyse de l’éducation et de son influence sur l’héroïne au fil de l’œuvre, qui s’appuie sur des extraits choisis et lus :


Amel : Mais à présent, on peut ce demander si elle est vraiment toujours enfermer dans cette cage qui l’empeche d’etre libre, n’y a t-il pas des moments ou elle se laisse aller ?
Chabha : Oh oui, il y en a ! Il y a par exemple la fameuse scène du portrait, ou c’est l’une des première fois ou elle craque et laisse paraitre ces sentiments aux duc de Nemours !
Sheyma : Oui, c’est mon passage préféré d’ailleurs !
Chabha : c’est ce passage... (lecture passage du portrait)
Amel : Oui, il en dit beaucoup, mais puisque c’est ton passage préféré sheyma, tu pourrais nous expliquer pourquoi la scène revèle des sentiments qu’elle veut cacher pour préservé cette fameuse vertue ?
Sheyma : Oui, bien sur, Cette extrait trahi la princesse en quelque sorte. c’est une scène ou ces sentiments prène le décu puisqu’elle se laisse flatter par cette attention du duc de Nemours. Elle s’abandonne à ce sentiments de réciprocité. Ce qui la mène à donc le laisser partir avec le portrait. Cette scène est le déclancheur de tant de chose puisqu’elle avoue à cette instant par son regard qu’elle l’aime aussi.
Manel : Donc ces un moments ou elle va à l’encontre des pensé de sa mère puisqu’elle fait quelque chose qui puisse la mené à ne plus etre aimé par son mari.
Amel : Oui, tout à fait. Cette scène est une breche dans la carapace parfaite de la PDC qui nous avait été introduite dans son portrait et qui de ce faite va à l’encontre de ces morales qu’aura implanté Mme. De Chartres dans son esprit étant donné qu’elle est ce jardiner ! c’est comme si pour une fois, la Pdc aurait laissé des plantes sauvages poussées dans son jardin.


L’implication personnelle des élèves est explicitée (« ma scène préférée ») et c’est elle qui justifie la prise de parole de Sheyma, qui développe une excellente réflexion, justifiant sa préférence. On voit aussi ici que l’analyse s’approfondit par retours successifs et dynamiques : le groupe cherche à révéler le sens de l’extrait à plusieurs, offrant un bel exemple de collaboration. Quant à la métaphore du jardinage qu’Amel file, cela témoigne d’une très fine appropriation du texte.


Dans un autre groupe, où les quatre élèves ont choisi des pseudonymes et s’appellent « Monsieur » pour mimer un débat professionnel sur une « question qui fait tant polémique », une discussion s’engage sur l’interprétation d’un passage clé du roman :

Yoichi : Ces messieurs vont nous aider à répondre et satisfaire au mieux nos auditeurs concernant cette question qui fait tant polémique, je vous laisse donc messieurs, prendre la parole dans l’ordre que vous souhaitez.


Sylvain : Et bien si vous ne voyez aucun soucis je me permets donc de prendre la parole, Tout d’abord je souhaite revenir sur cette question pertinente, qui concerne la liberté de la Princesse de Clèves. Tout d’abord partons sur un principe logique, c’est le fait que tout être est libre théoriquement, on peut le prouver d’ailleurs par un extrait bien précis qui est situé dans la 3ème partie lorsque la Princesse prends le choix de rester seule avec le Duc de Nemours afin de réécrire la lettre que son oncle, le Vidame de Chartres, a fait tombé, comme nous le dit cet extrait lors d’une discussion entre la Princesse et le Duc de Nemours qui essaie de la convaincre que la lettre ne lui appartient pas : “Je pense que tout ce que vous prendriez la peine de me dire serait inutile, répondit madame de Clèves avec un air assez sec, et il vaut mieux que vous alliez trouver la reine dauphine et que, sans chercher de détours, vous lui disiez l’intérêt que vous avez à cette lettre, puisque aussi bien on lui a dit qu’elle vient de vous.” Cet extrait est précédé ensuite par la proposition de réécriture de la lettre par le Duc de Nemours, une chose qu’ils ne font pas du tout puisqu’ils passent leur temps à se complimenter, ce qui reste son choix– 


Carlos : Ô Je vous arrête là, je souhaiterai juste mettre une chose au clair, la Princesse de Clèves n’avait pas réellement le choix à ce moment-là. Le Duc de Nemours s’est présenté à sa porte, guidé par le Prince de Clèves, ce dernier insouciant de la relation entre les deux à ce moment-là. La Princesse éprouve des sentiments envers le Duc de Nemours, la laissant donc hors d’elle-même puisque ses sentiments la guident lors de cette scène, —et ben oui, puisqu’elle passe son temps à badiner avec le duc de Nemours au lieu de réécrire cette fameuse lettre. Même si le but premier était d’écrire la lettre, elle n’y parvient pas car elle se laisse aspirer par la passion qu’elle a pour Nemours, contre son gré. Il est évident qu’elle n’a pas de contrôle sur ses actions, elle n’a pas la main mise sur les choix qu’elle fait.



Dans cet extrait, l’argument général (« logique ») sur la liberté est illustré par un passage du roman ; le travail de groupe sur le script, en amont de l’enregistrement, a fait émerger deux interprétations en apparence contradictoires de ce passage, pour faire apparaître son ambivalence : la Princesse semble contrainte dans ses choix par les circonstances, et en même temps, y consentant, elle semble se rendre coupable. En scénarisant ce conflit d’interprétation, le groupe a mis en scène le caractère dialectique de la dissertation (« Ô Je vous arrête là je souhaiterai juste mettre une chose au clair…  ») et lui a donné vie en l’incarnant, ce qui révèle, là encore, une réelle appropriation de l’œuvre.


Ce qui apparaît également dans les émissions, et peut-être est-ce l’enseignement le plus important, c’est le souci de clarté, souvent incarné par le présentateur, qui se charge de relancer et de distribuer la parole. Cela apparaît dans le recours à certaines expressions récurrentes, notamment dans les relances des présentateurs : « peux-tu nous en dire plus ? », « peux-tu expliquer plus précisément ta pensée aux auditrices et auditeurs ? », « as-tu un exemple pour nos auditeurs ? » etc. Cette volonté d’expliquer avec un maximum de clarté aux interlocuteurs et aux auditeurs les réflexions révèle une chose qui paraît largement impensée dans la dissertation écrite : le souci d’adresser sa réflexion. Seuls face à leur copie, d’autant plus s’ils sont invités à adopter le « on » impersonnel (qui n’est pas une attente au baccalauréat où l’on pourra préférer l’emploi de la 1re personne), les élèves tendent à oublier qu’ils s’adressent à un « lecteur empirique ». Dans la situation d’énonciation de l’émission de radio, en revanche, ils prennent naturellement en compte celles et ceux qui les écoutent (et qui sont l’équivalent de la correctrice, du correcteur), ce qui les conduit à mieux développer leurs réflexions, à les illustrer pour être plus convaincants.


4. 3. 5. De l’oral à l’écrit : remise en forme de la dissertation

Une fois toutes les émissions recueillies, les élèves ont pour consigne d’écouter au moins une ou deux émissions à la maison, en vue d’un échange en classe qui pourra s’appuyer sur l’écoute d’extraits. Cela peut être l’occasion d’une co-évaluation grâce à une grille d’évaluation qui aura été élaborée ensemble en amont, avec quelques critères simples : qualités orales, pertinence du lancement, qualité des arguments et des exemples, pertinence de la conclusion (un bonus peut être proposé pour l’originalité formelle). Durant cette écoute, ils relèveront les arguments et exemples qui leur ont paru les plus convaincants : ils serviront à constituer un « pot commun » lors d’un dernier temps mené en classe entière et consacré à une remise en forme revenant à la dissertation telle qu’elle peut être attendue dans le cadre de l’EAF. Une dernière heure est consacrée à cette étape : un nouveau document collaboratif (Pad de l’ENT, par exemple) est créé où sont réunis les meilleurs arguments et exemples que les élèves ont recueillis ; pour l’introduction et la conclusion, il suffit de reprendre les éléments de lancement (auquel on ajoutera l’annonce du plan) et la conclusion d’une des émissions ; les transitions entre les parties peuvent être rédigées ensemble. Ce retour à l’écrit partant des émissions permet aux élèves de comprendre que seule la forme du travail change, mais que l’enjeu de la dissertation (« développer une réflexion personnelle ») demeure exactement le même. Ce document peut servir de corrigé ; quant aux émissions, elles peuvent être réécoutées en podcast durant les révisions (il est d’ailleurs possible, si les élèves donnent leur accord écrit, de rendre accessible ces émissions à tous les élèves de 1re).


4. 4. Bilan

La réalisation d’une émission de radio a suscité un réel enthousiasme des élèves. Il tient en grande partie à l’originalité de la production finale, qui a donné à plusieurs élèves l’envie de poursuivre l’expérience de la radio en dehors des cours. Elle a surtout permis de s’approprier l’œuvre grâce aux discussions en groupe, à la préparation du script en amont puis à la mise en voix. C’est particulièrement vrai pour les groupes qui ont su engager des discussions interprétatives ou qui ont su tisser des liens entre différents passages de l’œuvre, des œuvres du parcours et leur culture personnelle. Pour de nombreux élèves, ce travail, répété, a permis d’acquérir une plus grande aisance à parler d’une œuvre, les préparant aussi bien à la dissertation qu’à la deuxième partie de l’oral de l’EAF (voire au Grand Oral), tant sur le fond que sur la forme. S’étant mieux appropriés l’œuvre, ils en parlent avec une plus grande maîtrise et une posture changée : habitués à adresser à d’autres des « réflexions personnelles », ils semblent plus à même d’en développer à l’écrit comme à l’oral. Par ailleurs, le travail de l’oralité, dans ses dimensions verbale et non verbale, a lui aussi donné aux élèves une plus grande aisance pour les oraux. Enfin, il me semble que le gain méthodologique est réel, car si le passage par l’émission de radio peut apparaître comme un détour — un détour chronophage — il fait émerger les enjeux fondamentaux de l’exercice et donne sens à celui-ci.


4. 5. Pistes d’ouverture

Il serait sans doute possible, au fur et à mesure de l’année, de passer d’un script en grande partie, voire entièrement rédigé, à une simple trame d’émission qui pourrait prendre la forme d’une prise de notes avec les éléments essentiels seulement, pour engager les élèves à improviser davantage et à s’exprimer avec plus de spontanéité. Le résultat final (l’émission enregistrée) serait forcément moins aboutie, formellement, mais elle serait sans doute plus intéressante.

Bibliographie


1 Bénédicte Shawky-Milcent, La Lecture, ça ne sert à rien : usages de la lecture au lycée et partout ailleurs, PUF, 2016, p. 84
2 Bénédicte Shawky-Milcent, op. cit., chapitre II
3 A. Rouxel et G. Langlade (dir.) Le sujet lecteur, lecture subjective et enseignement de la littérature, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 14
4 Dominique Bucheton, « Devenir l’auteur de sa parole », 2000. URL : http://media.eduscol.education.fr/file/Formation_continue_enseignants/87/0/parole_bucheton_109870.pdf
5 Bénédicte Shawky-Milcent, « « Ça a bien marché ! » : de la créativité lectorale à la créativité didactique et pédagogique dans la conduite d’une lecture analytique en classe. », op. cit.
6 Dominique Bucheton, op. cit.
7 Roxane Gagnon et Joaquim Dolz, « Le genre du texte, un outil didactique pour développer le langage oral et écrit », Pratiques 137-138, 2008. URL : http://journals.openedition.org/pratiques/1159
8 Roxane Gagnon et Joaquim Dolz, « Corps et voix : quel travail dans la classe de français du premier cycle du secondaire ? », Le français aujourd’hui, 2016/4 (N° 195), p. 63-76. URL : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2016-4-page-63.htm
9 Ibid.


 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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