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Ensemble, « faire images »

29 / 10 / 2017 | le GREID Lettres

par Françoise Cahen, professeur au lycée M. Perret à Alfortville

Niveau(x)

Première

Durée

6 semaines

Objectifs

  Accompagner et soutenir au fil des semaines les élèves dans la lecture d’une œuvre complexe
  Réaliser une œuvre collective avec l’objectif stimulant de l’offrir à l’autrice
  « Faire images » : trouver un moyen de mettre des images sur toutes les allusions historiques ou culturelles qui fourmillent dans le livre et ne parlent pas directement aux élèves
  Montrer que la collecte de liens et le copier-coller sont finalement aussi une forme de travail et d’écriture contemporaine
  Développer le travail collaboratif, et l’idée de lecture collective
  Répondre à la problématique de séquence : « Comment être le témoin de son époque ? »
  Intégrer la séquence dans une problématique annuelle : « Quelle est ma place dans la société ? »

Supports

 le roman d’Annie Ernaux Les Années
 des documents complémentaires en complément de chaque lecture analytique
En complément d’un extrait de l’incipit :
Extraits de Je me souviens de Georges Pérec, et de Souviens-moi d’Yves Pagès, sur l’écriture poétiques fragmentée des souvenirs (entraînement à la question sur corpus)
En complément d’un autoportrait à l’âge de 17 ans (p.67)
Extraits de « De la présomption » des Essais de Montaigne, Mémoires de La Rochefoucault, et Le Livre brisé de Doubrovski, sur le thème de la représentation de ses propres défauts ( « question sur corpus » : suite de l’entraînement)
En complément du récit de Mai 68
Extrait de Voyage au bout de la nuit, de Céline (la guerre de 14) et de La Chartreuse de Parme, de Stendhal (Waterloo) : ces passages ont été étudiés de façon parallèle en lecture analytique dans un groupement de textes autour de la problématique « le héros moderne est-il au cœur de l’histoire ? »

Outils numériques

Padlet et QUIZIZZ

Démarches et activités

  Les élèves par groupes, doivent chaque semaine déposer des liens avec des sites internet ou des images en relation avec un passage du livre sur des pages « Padlet ».
  Ils ont aussi, individuellement, à répondre à un quiz en ligne qui teste leur lecture.
  Trois lectures analytiques du roman sont faites, avec des travaux parallèles à chaque fois en classe.
  Entraînement à la question sur corpus : textes sur l’écriture morcelée du souvenir, et textes
  Devoir d’invention : écriture d’un autoportrait mis à distance à la troisième personne à partir d’une photo d’enfance personnelle que les élèves ont apportée en classe.
  Ecriture de lettres individuelles à Annie Ernaux, pour lui remettre le lien avec les pages padlet et lui poser des questions
  Réponse d’Annie Ernaux aux lettres des élèves, lue avec les élèves, et écriture d’une carte de remerciements
Apport spécifique des TICE : Padlet a été un moyen d’effectuer un travail collectif, par la collecte de liens et d’images puis par leur partage. L’album-souvenir ainsi créé est assez impressionnant, et a marqué Annie Ernaux elle-même jusqu’à permettre un dialogue avec l’auteur. Quoi de plus beau que de toucher l’écrivaine elle-même ? D’autre part Quizizz a été perçu par les élèves comme un outil tellement ludique qu’ils en ont réclamé de prolonger l’usage.

Le déroulement de la séquence

Genèse
Ce travail a été mené en première ES. J’ai choisi une problématique annuelle pour la classe : « Quelle est ma place dans la société ? » et toutes nos études de groupements de textes ou d’œuvres complètes sont dirigées vers cette réflexion. L’idée est de créer une cohérence annuelle, de montrer que la littérature peut aussi apporter des réponses à certaines questions existentielles. C’est donc tout naturellement que j’ai pensé à Annie Ernaux, pour aborder ce thème. Les Années n’est pas le livre de cette écrivaine le plus étudié au lycée, on lui préfère notamment La Place, beaucoup plus facile à lire. Mais Les Années est celui que je préfère, et j’ai choisi de parier sur mon propre enthousiasme pour parvenir à faire un travail intéressant avec les élèves.
La séquence sur Annie Ernaux est prévue sur 6 semaines. Sa problématique spécifique –car chaque séquence décline la problématique annuelle avec un questionnement particulier- est « Comment être le témoin de son époque ? »
Cette étude se déroule en début d’année, car c’est un projet que je sais ambitieux et je préfère compter sur l’énergie des bonnes résolutions de la rentrée. En outre, c’est aussi une façon de leur donner d’emblée un bon rythme de travail pour la suite.

Organisation du travail à la maison
Chaque semaine, une partie du livre est à lire, je l’ai divisé en parties à peu près égales. L’expérience montre que si je n’échelonne pas les consignes de lecture, les élèves en difficulté ne s’y mettent jamais.

  • Semaine 1 : Lire de la p.11 à la p.60 jusqu’à « il y a longtemps »
  • Semaine 2 : Lire de la p.60 depuis « A la moitié » jusqu’à la p.99 « savoir pourquoi »
  • Semaine 3 : Lire de la p.99 depuis « Dans les déjeuners » à la p.135 « le bout du monde »
  • Semaine 4 : Lire de la p.135 depuis « La guerre du Viet-Nam » à la p.173 « à jamais ».
  • Semaine 5 : Lire de la p.173 « Le temps tjrs + fiévreux » à la p.209 « souffrance de la vie »
  • Semaine 6 : Lire de la p.209 depuis « Sur le fond » à la fin du roman.

Les élèves ont des consignes pour faire chaque semaine deux types de travaux : les quiz en ligne, et les tableaux de liens sur Padlet. Voici les consignes qui avaient été données aux élèves :

LE QUIZ INDIVIDUEL : Connectez-vous sur https://padlet.com/francoisecahen/annee et vous aurez un lien et un code valable jusqu’au mardi inclus pour répondre à un QUIZ sur le site QUIZIZZ, sur la partie du roman à lire. C’est un test en temps limité, qui est noté de façon automatique. Vous pouvez y répondre depuis une tablette, un téléphone connecté au net ou un ordinateur. Si vous n’avez pas de connexion chez vous, connectez-vous au lycée, au CDI. Vous devez donner votre prénom.
LE TABLEAU DE LIENS, par groupes : Chaque semaine, au fil de votre lecture, par groupes de trois élèves, vous devrez remplir un padlet qui rassemble un maximum de liens sur les actualités citées par Annie Ernaux dans cette partie du roman : chansons, films, événements historiques, objets typiques, personnages politiques, etc…. Il faut que chaque lien soit assorti de la citation du roman auquel il fait référence, avec le numéro de la page. Vous pouvez vous répartir les pages, mais il n’y aura qu’un padlet pour trois qui donnera lieu à une note collective.

Ces travaux étaient notés chaque semaine à l’aide de ces tableaux d’évaluation :

On peut être étonné de ce recours à un Quiz en première pour baliser une lecture d’œuvre complète. Il se trouve que je venais de découvrir Quizizz et j’ai pensé que cet outil numérique ludique était suffisamment amusant pour en faire une activité attrayante pour les élèves, sachant que je m’attendais à un profil de classe assez fragile. Ces lycéens de première ES ont bien aimé répondre aux questions à choix multiples depuis leurs téléphones et essayer de battre « les records » de la classe. Cela peut sembler un peu infantilisant, superficiel, et d’habitude j’évite les questions de lecture trop scolaires pour éviter de polluer le plaisir de la lecture. Les élèves auraient pourtant voulu des tests de ce genre tout au long de l’année ! Il me semble qu’il aurait été encore plus amusant de faire composer aux élèves eux-mêmes les questions des tests pour mettre à l’épreuve leurs camarades. Mais je n’avais pas matériellement le temps d’organiser ce dispositif, qui n’était d’ailleurs pas essentiel dans la séquence. L’expérience m’a permis d’accrocher des élèves qui n’aiment pas trop lire, et qui sont plus intéressés par les jeux vidéos : c’est un détour certes artificiel pour les amener à lire un livre, mais tous les moyens sont bons.

La réalisation des albums
Le travail de collecte de liens a donné lieu à un très beau résultat, qu’on peut retrouver en ligne à cette adresse. Cette page générale regroupe tous les albums sur l’ensemble de l’œuvre.

Concrètement, chaque semaine, nous avions un Padlet à remplir, correspondant grosso modo à 10 années de la vie d’Annie Ernaux, constituant à chaque fois un album. Les élèves avaient disposé les images correspondant à leur groupe en colonnes, avec leurs noms, pour que je puisse les évaluer. L’un des objectifs était que chaque groupe fournisse des références au livre échelonnées au fil des pages à lire dans la semaine, pour éviter une concentration de références au même endroit. Nous n’avons jamais cependant visé l’exhaustivité. Pour éviter que les élèves de différents groupes ne recopient les mêmes liens, je ne validais les publications que la semaine suivante, une fois que tous les groupes avaient publié leur production. Une première collecte de liens s’est faite lors d’une séance en classe, en salle informatique, afin que les élèves se familiarisent avec Padlet s’ils ne maîtrisaient pas encore l’outil. Nous avions alors spécifiquement ciblé l’incipit, qui était le premier texte travaillé avec les élèves. Ils ont ensuite continué seuls chez eux. J’ai cependant remarqué que quelques élèves n’étaient pas à l’aise avec les consignes et j’ai aidé ceux qui ne comprenaient pas.

Le résultat de cette collecte est vraiment assez impressionnant, alors même que la classe est composée majoritairement d’élèves qui n’aiment pas beaucoup lire. Ce travail a représenté une tâche assez légère pour les élèves, qui n’a pas entravé vraiment beaucoup leur lecture, et qui a permis à tous de trouver les images d’une époque qu’ils n’ont pas vécue. Il s’agit d’une forme de création collective d’un genre nouveau. En effet, une certaine tradition enseignante condamne habituellement le copier-coller en cours de français, alors que la collecte de liens et d’images voulue ici est entièrement faite de copier-coller. C’est pourtant bien l’une des fonctions du numérique les plus utilisées par tous : cette activité permettait de donner des lettres de noblesse créatives au copier-coller, outil de notre réalisation collective.

Le courrier à Annie Ernaux
Nous avons ensuite écrit à Annie Ernaux. J’ai voulu faire rédiger aux élèves des lettres individuelles ou par deux, selon leur désir, et non une lettre collective. Ils devaient expliquer à Annie Ernaux leur projet, avant de donner leurs impressions de lecture sur son œuvre et éventuellement de lui poser quelques questions. Je pensais en sélectionner une ou deux pour les envoyer à l’écrivaine, mais les lettres, même les plus maladroites, m’ont semblé dans l’ensemble très intéressantes. Une élève, en grande difficulté, y avouait que Les Années était le premier livre qu’elle lisait en entier de toute sa vie- j’ai moi-même eu les larmes aux yeux en lisant sa lettre. Deux élèves confiaient qu’elles avaient été choquées par l’aspect trop cru, selon elles, de certains passages – et pourtant les Années n’est pas un livre choquant- et estimaient que ce n’était pas un livre pour des jeunes filles pudiques de leur âge. J’ai trouvé mes élèves sincères, et j’ai estimé que leurs lettres à l’état brut étaient émouvantes malgré leurs imperfections et leur diversité. C’est pourquoi après bien des hésitations (étant moi-même très intimidée à l’idée de contacter par courrier Annie Ernaux) j’ai envoyé toute la liasse des lettres écrites par les élèves à Annie Ernaux, accompagnée d’un petit mot d’explication, en passant par l’intermédiaire des éditions Gallimard.
Il est arrivé ensuite une chose absolument merveilleuse : un matin, en ouvrant mon casier de la salle des professeurs, j’y ai trouvé une lettre d’Annie Ernaux, qui répondait à toute la classe. Et c’était une très belle lettre, qui m’a beaucoup émue, mais qui a aussi ému énormément les élèves, car elle a répondu à la plupart de leurs questions, notamment aux lycéennes qui trouvaient le livre « trop cru ». Et j’ai vu l’émotion de ces jeunes filles quand elles ont réalisé qu’Annie Ernaux avait tenu à expliquer longuement pourquoi pour elle, écrire les choses telles qu’elles sont ne relève pas de l’impudeur, de la provocation. Mais surtout, Annie Ernaux a beaucoup apprécié notre album souvenir. Ses phrases nous sont allées droit au cœur : « Le travail que vous avez fait effectuer à vos élèves est tout à fait passionnant. J’y ai pris, en le voyant, un plaisir extrême. En effet, je n’ai écrit que de mémoire, sans documents, et ce fut fort troublant de voir une « réclame » Oulsol, l’affiche des Platters, du film Thérèse Raquin, etc… » Quelle émotion ! J’ai tapé le texte intégral de cette lettre et je l’ai photocopié pour le donner aux élèves. Nous l’avons commenté ensemble et j’ai fait figurer ce courrier sur le descriptif en vue de l’oral du bac, comme document complémentaire.
Pour remercier Annie Ernaux, nous avons pris une photo de la classe avec son roman dans les mains des élèves et nous lui avons envoyé avec une carte collective. Voilà comment un projet de classe se transforme en aventure magique, créant un rapprochement concret entre élèves et autrice.

Les commentaires en classe.
Les trois extraits choisis ont été accompagnés de lectures complémentaires.
Le premier texte correspond à l’incipit : nous en profitons pour travailler la méthode de la question sur corpus en comparant l’extrait avec deux autres textes : un extrait de Je me souviens de Pérec, et un extrait de Souviens-moi d’Yves Pagès. Dans les trois cas, l’évocation de souvenirs personnels crée une poétique liée à la fragmentation.

Le deuxième texte nous permet de travailler autour d’un portrait : j’ai choisi exprès l’extrait parce qu’Annie s’y décrit à l’âge des lycéens, à partir d’une photo. Un padlet sert à recueillir les impressions de la classe sur le texte. Après notre explication du passage, les élèves ont pour consigner de ramener en classe une photo d’enfance pour un devoir d’invention. Ils doivent rédiger leur autoportrait impersonnel, à la manière d’Annie Ernaux à la troisième personne, en respectant la même structure. Ce travail a beaucoup plu à la classe. J’avais pris soin d’apporter ce jour-là des photos d’enfants pour les élèves qui avaient oublié leurs propres photos. Aucune injonction de vérité par rapport aux souvenirs évoqués dans le devoir n’était faite aux élèves, seule la vraisemblance devait être respectée. Un tableau d’évaluation a été distribué aux élèves, en même temps que l’énoncé du devoir. (voir pièce jointe n°1)
Par ailleurs, nous continuons de travailler la question sur corpus, et nous comparons plusieurs autoportraits où l’auteur parle de ses propres défauts : Montaigne, La Rochefoucault, et Doubrosvki, en lien avec le portrait d’Annie Ernaux. (voir pièce jointe n°2)

Le troisième extrait permet de démarrer l’étude d’un groupement de textes sur le thème de la place du héros dans l’histoire. Nous travaillons sur la façon dont Annie Ernaux parle de mai 68 (après avoir vu un court documentaire sur les événements historiques de cette époque). Nous étudions ensuite Fabrice del Dongo à Waterloo dans La Chartreuse de Parme de Stendhal et Bardamu sur le champ de bataille pendant la guerre de 14 dans Voyage au bout de la nuit de Céline. De ces trois personnages, on peut dire qu’ils sont à la fois à côté de l’événement historique, et aussi au cœur de celui-ci (mais d’une façon moderne, pas à la manière des héros épiques par exemple). Les élèves à la fin de ce groupement, remplissent un tableau-bilan.

BILAN : Le héros moderne est-il au cœur de l’histoire ? (On emploie ici l’adjectif moderne pour l’opposer au héros traditionnel, hérité de l’Antiquité, où le héros était un demi-dieu...)

Conclusion
On voit ici que le travail créatif mené par la classe pour constituer les albums ne s’est pas substitué à l’étude plus classique du roman, fondée sur des explications de textes successives et d’autres textes littéraires mis en relation avec le livre d’Annie Ernaux. Le travail créatif en ligne a accompagné la lecture des élèves au fil des semaines, et l’a concrétisée en matérialisant les images contenues dans le livre. Le fait de faire surgir les images d’une œuvre complexe a permis l’appropriation collaborative des Années par la classe. Le travail numérique et créatif de collecte par copier-coller n’a pas représenté un abaissement des exigences, puisqu’ainsi des élèves, qui avaient parfois peu d’expériences de lecture, ont réussi à lire un livre assez difficile, et nous avons pu travailler nos commentaires de textes de façon très classique. Nous garderons au cœur la lettre merveilleuse d’Annie Ernaux, qui restera l’un des moments les plus magiques de notre carrière d’enseignante : les élèves ont créé à leur manière une œuvre collective, lue à son tour par l’autrice qu’ils étudiaient, et c’est une sorte d’inversion fabuleuse de la relation entre les lecteurs et l’écrivaine qui s’est produite dans la classe.

 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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