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« J’te dérange ? - Non, non… »

13 / 11 / 2014 | F. Cahen
                  par Françoise Cahen, professeur au lycée M.Perret à Alfortville, 
(séquence élaborée avec la collaboration de Jean-Charles Massera)


  • Niveau(x) : première, transposable à d’autres niveaux Logo Traam
  • Durée : 6 heures environ
  • Objectifs :
-Intégrer l’étude d’une œuvre sonore numérique au descriptif des lectures analytiques du bac français
-Aborder des thèmes d’argumentation sur l’homme contemporain : l’homme au travail, les médias, les faux-semblants
-Réfléchir à la notion de littérature, de l’art et du beau (nouveaux supports, nouvelles formes) et aussi à la notion de réalisme
-Voir comment l’art contemporain peut se nourrir de références philosophiques ou culturelles
-Préparer l’oral du bac français en enregistrant des explications sonore en groupes et faciliter ainsi les révisions
-Rendre plus actifs les élèves
-Rencontrer un auteur afin de sentir que la littérature est bien vivante, échanger avec lui les analyses de ses propres oeuvres
  • Supports :
- Trois pièces sonores de Jean-Charles Massera en ligne sous forme de podcasts pour Arte radio :
- « Le restau qui faisait chalet »
- « On est mal barré en fait »
- « Non mais là ça dépasse tout »
 
- la version écrite de ces trois œuvres (fournie par l’auteur) 
- des textes complémentaires en relation avec chacune des trois pièces sonores : voir pièce jointe
  • Outils TICE :
- une connexion internet et des haut-parleurs en classe
- les téléphones portables des élèves pour l’enregistrement (ou les enregistreurs de l’établissement)
- un blog de classe
 
  • Démarches et activités :
-écoute collective en classe des œuvres sonores, recherche de problématiques pour les commenter et recherche d’un plan
-lecture de textes complémentaires à propos de chacune des œuvres sonores, recherche des liens entre ces textes et les pièces sonores
-A partir de l’armature de commentaire réalisée en commun, les élèves par groupes de trois réalisent un commentaire sonore d’une des pièces sonores écoutées, et l’enregistrent
-Nous recevons Jean-Charles Massera en classe et nous lui faisons écouter les commentaires de ses œuvres réalisés par les élèves. Il réagit, dialogue avec les élèves autour de leurs analyses.
-Nous effectuons ensuite un bilan commun de cette rencontre, la semaine suivante.
-Les études des pièces sonores sont intégrées dans notre descriptif en vue de l’oral du bac, comme autant de commentaires littéraires.
  • Apport spécifique des TICE :
-Les TICE sont à la fois l’objet et le support du travail : cela permet aux élèves de se poser des questions sur l’évolution des formes de l’art avec le numérique, mais aussi de réaliser des explications de textes à trois voix très bien coordonnées et structurées. L’exercice pratique d’entraînement à l’oral devient ensuite un support de révision pour le bac. Le podcast de leurs commentaires a aussi facilité les échanges entre les lycéens et l’artiste.

Déroulement de la séquence

 
« J’te dérange ? - Non, non… » est une œuvre sonore réalisée par Jean-Charles Massera pour Arte Radio en 2012. Elle est composée de dix pièces de moins de 5 minutes. Ce feuilleton original est conçu pour les nouveaux modes d’écoute (podcast, smartphone, écouteurs) et renouvelle la fiction radio. Il s’agit d’appels téléphoniques passés dans les circonstances banales du quotidien, qui dérivent bien vite vers des thèmes de réflexion sur l’homme contemporain. Nous avons choisi de travailler sur trois de ces pièces sonores avec des élèves de première S, dans le cadre de la préparation du bac français, comme s’il s’agissait de textes argumentatifs à expliquer :
- « Le restau qui faisait chalet » http://www.arteradio.com/son/616159/le_restau_qui_faisait_chalet/
-« On est mal barré en fait » : http://www.arteradio.com/son/616165/on_est_mal_barre_en_fait/
-« Non mais là ça dépasse tout » http://www.arteradio.com/son/616181/non_mais_la_ca_depasse_tout/
 
Deux raisons ont motivé principalement ce choix pédagogique. D’une part, après avoir assisté à un plan national de formation à la BNF qui portait entièrement sur la littérature numérique deux ans auparavant, j’ai réalisé que finalement, peu de travail pédagogique avait suivi cet événement, alors qu’il me semblait pourtant nécessaire d’utiliser ces nouvelles sources de littérature dans notre enseignement : un plan national de formation, me semble-t-il est fait pour donner une impulsion qu’il est de notre responsabilité de répercuter, comme une onde de choc, dans nos propres cours. C’est pourquoi je voulais que figure, sur mon descriptif de bac français, un exemple au moins de littérature numérique.
D’autre part, j’éprouve un peu de mal à choisir des textes argumentatifs originaux et motivants pour les élèves de première, depuis que le programme de seconde porte sur les Lumières et le Classicisme : les élèves ont déjà lu des fables et des contes philosophiques l’année précédente, et je ne veux pas que les élèves aient l’impression d’une redondance entre la seconde et la première, même si je leur fais lire des textes des Lumières dans les deux niveaux. Mais je souhaite aussi trouver des textes contemporains qui puissent interpeller efficacement les élèves sur « la question de l’homme ». J’ai fait par hasard la connaissance de Jean-Charles Massera dans un colloque, je suis allée voir sa pièce de théâtre à la Colline l’année précédente et j’ai lu plusieurs de ses livres. C’est ainsi que j’ai eu l’idée d’utiliser ses créations sonores en cours.
 
Pendant une première séance de deux heures, les élèves ont d’abord écouté chacune des pièces, en faisant un repérage, au fil de leur écoute. J’ai choisi de ne pas leur donner les textes correspondant dans un premier temps. Nous faisons une pause pour partager les impressions entre chaque écoute. Les lycéens manifestent d’abord un peu d’inquiétude, assez drôle à observer : « Madame, vous êtes sûrs qu’on peut étudier des choses comme ça pour le bac français ? Pourquoi on n’étudie pas Candide, plutôt, comme tout le monde ? » Leurs réactions montrent bien le fait qu’ils ont conscience d’écouter une œuvre très singulière, qui sort des sentiers battus et ne correspond pas à l’idée qu’ils se font a priori de la littérature.
Leurs interventions spontanées sont cependant très nombreuses et prouvent leur intérêt : en les étonnant, j’ai réussi à les mettre en éveil et à les sortir de leur léthargie scolaire de fin d’année. Quant à l’écoute des pièces sonores, elle est d’une grande qualité : on entend les mouches voler tandis que résonne l’enregistrement. Pour que les élèves ne soient pas trop déconcertés, à la deuxième écoute, après leur avoir fait partager leurs premières réactions, je leur fournis une grille de repérage qui leur permet de noter quelques éléments qui nous serviront de base. (Voir pièce jointe)
Nous construisons ensemble une problématique commune pour étudier les trois œuvres : les élèves ont en effet été frappés par le contraste entre les effets très réalistes (langage familier, cadre quotidien ordinaire) et le contenu philosophique de ces œuvres, dont la profondeur pouvait leur sembler étonnante et vertigineuse. Cette constatation récurrente nous inspire alors une trame de commentaire possible, lors de cette première séance, qui met en évidence les liens entre ces trois œuvres brèves.
Je ramène lors de la séance suivante la trame de ce commentaire, sous la forme de cadres à compléter. (Voir pièce jointe) J’y joins aussi les textes des pièces sonores, que m’a transmis aimablement l’auteur. Nous voyons bien qu’il s’agit de supports pour une œuvre sonore et que ces oeuvres ne sont pas faites pour être lues, mais bien pour être entendues : le langage employé est calqué sur une façon de parler naturelle et familière, la typographie n’est pas appropriée à une publication.
 
En parallèle, nous lisons deux documents complémentaires par pièce sonore, (voir pièce jointe) la plupart issus de textes philosophiques, qui expliquent certaines notions sous-entendues dans ces œuvres. Ainsi, les élèves s’aperçoivent qu’elles sont construites à partir de références littéraires, philosophiques, et que leur modernité, leur langage familier n’en font pas pour autant des œuvres légères, déconnectées du patrimoine culturel.
 
 Puis, nous constituons des groupes de trois élèves et nous répartissons les textes de manière à ce qu’il y ait au moins deux groupes qui préparent l’explication de chaque pièce sonore. Cela permettra de confronter à la fin les différentes versions de leurs explications sonores. Les élèves complètent d’abord le cadre de l’explication élaborée en commun pendant la séance précédente. (Ils ne sont pas obligés de rédiger, ils peuvent prendre de simples notes, et peuvent aussi modifier le plan choisi s’ils le désirent…)
Puis, pendant la deuxième heure, les élèves partent de la classe pour s’isoler dans un couloir ou au CDI et enregistrer leur explication à plusieurs voix, soit sur leurs téléphones, soit sur des enregistreurs dont dispose l’établissement. Comme la plupart des groupes ne parviennent pas à finir, ils ont pour tâche de finir ce travail pour la semaine suivante.
 
Les lycéens ont ainsi réalisé des explications de textes sous forme de podcasts, que l’on a déposées sur un blog. En voilà trois exemples :
http://www.weblettres.net/blogs/article.php?w=vitabac&e_id=77181




http://www.weblettres.net/blogs/article.php?w=vitabac&e_id=77182




http://www.weblettres.net/blogs/article.php?w=vitabac&e_id=77238





La semaine suivante, l’auteur est venu dans la classe, grâce à un financement obtenu avec la Maison des écrivains, et il a écouté les commentaires enregistrés par les élèves sur ses oeuvres. Je n’avais pas eu le temps matériel de vérifier la qualité du travail fourni avant l’écoute devant l’auteur pour la moitié des groupes : nous travaillions sans filet. Mais le fait que les lycéens sachent que l’auteur écouterait leurs explications a suscité de leur part une motivation naturelle, et j’ai pu être fière du résultat obtenu, comme eux et Jean-Charles Massera, qui a trouvé très intéressant le travail conduit par la classe. L’écoute de leurs explications a servi de support pour une séance d’échange de deux heures, très riche, qui s’est orientée notamment sur des réflexions autour de l’art, de la notion de beau… Est-ce qu’une œuvre qui contient du langage familier d’aujourd’hui peut être considérée comme littéraire ?, se demandaient les élèves. Jean-Charles Massera leur a parlé de Rabelais, de Céline pour remettre en cause leurs idées reçues. Est-ce que l’art doit être beau, ou doit-il être fait avant tout pour déranger ? Voilà l’une des questions que le débat très vivant a soulevées.
L’auteur soulignait le fait qu’il était très original d’avoir voulu faire « rentrer » ses pièces sonores, au format si anticonformiste, dans un cadre si rigoureux et traditionnel qui est celui de l’explication de texte du bac. L’exercice en lui-même, par son aspect paradoxal, l’a beaucoup amusé. Il a félicité les lycéens pour leur intelligence. La littérature ne peut pas être plus vivante que lorsque la rencontre avec l’auteur est directe…
 
Deux jours après, en une demi-heure, avec les élèves, nous faisons un petit diaporama en commun qui résume toutes les idées essentielles de la rencontre. Il fut spécialement amusant de constater que les deux seules élèves qui s’étaient tues pendant la rencontre, paraissant regarder ailleurs, furent celles qui donnèrent le plus d’idées pour constituer le résumé de la séance. Tout le monde était enchanté : c’était la fin de l’année scolaire, il s’agissait de nos derniers textes sur le descriptif, mais finalement cette étude représenta une sorte d’apothéose sympathique, qui permit également à chacun de réaliser à travers les enregistrements des oraux d’entraînement bien calibrés un travail très sérieux. Quant à moi, j’ai rarement éprouvé autant de plaisir pédagogique, parce que tout s’est enchaîné joliment, le travail de l’oral dans ses différentes phases : écoute des œuvres, réalisation des podcasts, débat et écoute des productions d’élèves ont été autant d’étapes extrêmement vivantes, pendant lesquels les élèves se sont montrés très actifs. Nous tenons tous à remercier Jean-Charles Massera - « super-sympa » ont dit les lycéens- qui a su trouver le ton juste pour parler de son œuvre et au-delà, pour interroger les jeunes sur la fonction de l’art en général.
 
Enfin, le travail réalisé a été inscrit sur le descriptif en vue de l’oral du bac. Il n’était pas facile de le présenter, et je me suis sentie obligée de joindre les textes qui avaient servi de support aux œuvres de Jean-Charles Massera en plus des liens internet qui permettent de les écouter, pour être fidèle aux consignes officielles, mais en sachant que ce n’est pas leur support naturel et que le texte dévalorise l’œuvre sonore numérique. J’ai également expliqué le projet poursuivi en classe, et j’ai joint les documents complémentaires étudiés au descriptif. Pour l’instant, j’ai rencontré une seule élève de cette classe qui ait été interrogée sur ces œuvres lors de l’épreuve finale. La question est donc posée à l’institution et aux collègues professeurs de lettres : comment intégrer véritablement la littérature numérique dans le format du bac tel qu’il existe aujourd’hui ?
 

 
Directeur de publication :
A. David
Secrétaire de rédaction :
C. Dunoyer

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